A partir de 2009, la lutte contre le changement climatique est entrée dans une phase aussi difficile que décisive. Derrière les résistances des conservateurs, se cache le lobby des producteurs d’énergies fossiles qui veulent faire payer la transition énergétique par les petits consommateurs.  Pour les Verts, ce n’est pas le moment de baisser la garde, mais d’amplifier une mobilisation qui doit culminer avec le sommet de Paris en 2015.  Un interview avec Claude Turmes, député européen luxembourgeois (Die Greng).

 

Peux-tu nous faire le bilan de l’évolution du dossier climatique au niveau européen depuis 2009 ?

Je distinguerais trois phases dans l’évolution du dossier. La première commence en 2007 et s’achève à la fin de 2009 avec le relatif échec du sommet de Copenhague et un changement d’attitude des partis conservateurs. La seconde va jusqu’à la fin de 2013 et la troisième s’est ouverte au début de 2014 avec ce que j’appelle le « putsch de Barroso » qui ouvre l’entrée dans une phase encore beaucoup plus conflictuelle que les précédentes.

Au cours de la première période qui va de 2007 à 2009, nous avons bénéficié d’une dynamique positive, suite à l’élargissement de la prise de conscience du défi climatique, provoquée par le rapport Stern ou le film d’Al Gore « an unconvenient truth ». La seconde commence avec l’échec de la conférence de Copenhague. Au cours de celle-ci,   l’élan de la première phase nous a encore permis de faire avancer deux directives très importantes en matière d’efficacité énergétique.

La première directive concerne les nouveaux bâtiments. Elle a été finalisée en 2010.  Faute de moyens financiers, nous n’avons pas pu avancer sur la rénovation des bâtiments existants. En revanche, grâce à un amendement des Verts,  nous avons obtenu qu’à partir de 2021, absolument tous les nouveaux bâtiments  européens soient « Near Zero Energy ». C’est un puissant incitant pour tout le secteur. La prochaine étape sera d’arriver à ce que les nouveaux bâtiments produisent plus d’énergie qu’ils n’en consomment.

Et quelle est la seconde directive ?

C’est la European Energy Efficiency Directive  (EEED) dont j’ai été le rapporteur. Cette directive fixe un objectif  de réduction de la consommation d’énergie primaire dans l’ensemble de l’Union européenne. C’est une condition indispensable pour entrer dans une nouvelle économie écologique.  Dans ce but, elle crée  une panoplie d’instruments. Chaque Etat membre devra ainsi établir un cadastre complet de ses bâtiments  ainsi  qu’un plan d’action pour les rénover sur le plan énergétique. Ce plan devra intégrer les subsides et les mesures pour améliorer la formation des travailleurs du secteur de la construction. Tous les bâtiments publics devront être exemplaires. Ensuite, toutes les grandes industries devront disposer d’Energy Management Systems pour gérer leurs flux énergétiques. La directive instaure aussi le principe de la « Demand Response ». Cela veut dire que le futur le système électrique européen ne devra pas seulement comporter des outils de production plus flexibles pour compléter les énergies renouvelables, comme des turbines à gaz. Il devra aussi organiser la flexibilité de l’usage de certaines infrastructures très consommatrices.  La transposition de cette directive dans le droit national est lancée. C’est un résultat très important d’une lutte très longue et difficile.

Quelles résistances as-tu rencontrées ?

Alors que les conservateurs étaient sur un agenda climat au moins jusqu’à la présidence française de l’Union européenne en 2008, ils ont complètement abandonné celui-ci pour se rallier à la vision de Monsieur Mittal ou des grands groupes énergétiques. Ceux-ci essayent de nous faire croire que la crise économique en Europe est la conséquence de lois trop sévères qu’on fait en matière d’environnement.  Avant la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008,  nous avions gagné le méta-débat sur le changement climatique.  Le film d’Al Gore et les rapports de l’IPCC avaient provoqué un tel emballement que même un conservateur comme Sarkozy avait fait du Paquet Climat la priorité de sa Présidence de l’Union européenne. Cela montre bien l’importance des mouvements de société dans l’agenda politique.  Cet élan nous a permis d’encore gagner la Directive sur l’efficacité énergétique, malgré le changement d’attitude des conservateurs. Et puis il y a eu ce que j’appelle « le putsch de Barroso »  en ce début de 2014, en l’occurrence la proposition de la Commission sur le Paquet Climat-Energie 2030,.

Pourquoi est-ce un putsch ?

Primo, l’objectif de réduction de 40% des émissions de GES en 2030 par rapport à 1990. C’est en dessous de que les scientifiques nous demandent et cela va inciter les pays émergents et en développement à ne pas bouger.  Secundo, en suggérant qu’après 2020, on n’aura plus besoin d’objectifs contraignants nationaux,  Barroso attaque de front la gouvernance des deux Directives phares du Paquet Energie-Climat : la Directive Energie Renouvelables et la Directive Efficacité Energétique. Sans ces objectifs contraignants nationaux, certains gouvernements comme ceux de la Pologne ou du Royaume Uni, seront tentés de ne plus rien faire pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique. Surtout, sans convergence européennes sur ce qu’on appelle les trois « No Regret » (l’efficacité énergétique, les renouvelables et les réseaux), on risque de faire complètement éclater le marché intérieur de l’énergie.

Comment expliques-tu cette attitude de Barroso ?

Il est inspiré par la fédération patronale BUSINESSEUROPE et par la « Marguerite », ce lobby  qui regroupe des organisations de gaz et de charbon. Sous la houlette de Gérard Mestrallet, le patron de GDF-Suez, ce lobby surréaliste a pour objectif de tuer les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique. Ils ont parfaitement compris que l’efficacité énergétique et les renouvelables permettront de réduire de 500 milliards par an la facture énergétique de l’Europe. Ce sera tout profit pour les  citoyens. Mais cela va aussi diminuer le chèque de Monsieur Poutine et réduire sa faculté de nuisance géopolitique.  Et surtout, c’est très mauvais pour les bénéfices de GDF-Suez et d’autres revendeurs de gaz et de charbon. Par conséquent, Monsieur Mestrallet a fait pression sur Monsieur Barroso pour l’inciter à tuer l’amorce d’une politique énergétique européenne respectueuse de l’environnement qui est aussi une politique d’indépendance et de créations d’emplois dans un secteur du renouvelable et de l’isolation qui pèse déjà 400 000 emplois et qui pourrait à terme passer à 2 millions d’emplois en Europe.

Et cela ne suscite pas de réactions ?

Oui, heureusement, en février 2014, le Parlement européen a rejeté les propositions de Monsieur Barroso, en disant qu’il fallait en 2030, au moins 30% d’énergies renouvelables et une effort d’au moins 40% d’efficacité énergétique en 2030. Il a aussi exigé qu’il y ait des objectifs nationaux contraignants. Cela montre bien que le Parlement européen est capable d’une certaine résilience face aux lobbies.  La balle est dans le camp des Ministres et des Chefs d’Etat.

Comment expliques-tu que ce conflit n’apparaisse pas plus clairement en dehors du Parlement européen ? 

Le problème, c’est que Mestrallet agit clandestinement en passant des contrats avec des politiques. Ainsi,  GDF a plus que vraisemblablement conclu un contrat avec Rachida Dati, députée de la droite française, pour influencer négativement la politique européenne de l’énergie.  Prochainement, elle devra s’expliquer devant le Comité d’éthique du Parlement européen. De plus, de manière très habile, Mestrallet et les électriciens ont envoyé Mittal et les sidérurgistes « au charbon », en leur faisant dire que les écologistes, avec leur lutte contre le changement climatique, allaient tuer l’emploi.  Or, aujourd’hui, il est possible de démontrer que de très nombreuses entreprises intensives en énergie – comme BASF par exemple – n’ont jamais dû payer un centime sur le marché européen du carbone. Aucune  des 17 entreprises luxembourgeoises qui sont dans le système ETCS n’ont jamais payé un seul euro.  On estime que Mittal en arrêtant les usines sidérurgiques de plusieurs régions d’Europe, sans les fermer définitivement,  a fait  300 millions d’euros de bénéfices sur le système européen de quotas.  Cela ne l’empêche pas de dire aux gouvernements que c’est la lutte contre le changement climatique qui tue son entreprise ! Sa deuxième ligne d’attaque, c’est de dire que ce sont les énergies renouvelables qui rendent les prix de l’électricité plus élevés en Europe qu’aux USA. Mais c’est une blague ! Cela fait 30 ans que les prix de l’électricité sont inférieurs aux Etats-Unis. Une étude de la banque allemande KfW montre clairement que si l’Europe n’a pas perdu en compétitivité sur le plan énergétique, c’est parce que l’efficacité  énergétique de l’industrie européenne est meilleure. Mittal oublie aussi de dire que  les prix à la bourse de l’électricité sont passés de 65 euros par Mégawatt en 2008 à 40 €, voire moins aujourd’hui. Jamais l’électricité n’a été aussi bon marché pour l’industrie européenne.  Les entreprises comme Mittal bénéficient d’exemptions très avantageuses par rapport aux mécanismes de soutien aux renouvelables.

On sait aussi que depuis 2008, les exportations européennes de produits sidérurgiques ont augmenté tandis que les importations d’aciers kazakhs, américains ou brésiliens diminuaient.  Comment est-ce possible si l’industrie européenne n’est pas compétitive ? Donc, Mittal fait le sale boulot pour les gaziers et les électriciens et est très écouté par certains politiques. Il ment pour détruire ce qu’on met en place en matière d’énergie.  A un moment où les deux tiers du parc de production européen doivent être remplacés, où il faut réinvestir dans les lignes de distribution et de haute tension, la stratégie des grands producteurs industriels qui consomment de 30 à 40% de l’électricité européenne est de faire payer la transition énergétique par les petits consommateurs et par les PME.  Ils veulent, eux, en être complètement exemptés.

En dehors de Rachida Dati, quels sont les relais de ces gros producteurs au Parlement européen ? 

De manière générale, ils sont suivis par les conservateurs, une partie des libéraux ainsi que par certains gouvernements socialistes. Mais si en février, on a pu contrer le putsch de Barroso, c’est parce  que le groupe social-démocrate a voté avec les écologistes,  certains députés de l’extrême gauche, des libéraux et une petite minorité de 50/60 députés conservateurs, parmi lesquels la Belge Anne Delvaux avec laquelle nous avons beaucoup collaboré.

Quelle stratégie faut-il développer pour contrer cette stratégie masquée des énergies fossiles ? 

D’abord,  il faut attaquer frontalement et refuser les mensonges de MM. Mittal et Mestrallet. Il faut démontrer par les chiffres leur lobbying honteux et intolérable. Ensuite, nous devons renforcer le lien entre la politique de l’environnement et la relance de l’économie en Europe. Comment une économie qui perd chaque année 500 milliards d’euros parce qu’elle utilise de manière inefficace du gaz, du charbon ou du pétrole peut-elle être forte ?  Diminuer le chèque que nous payons chaque année à Monsieur Poutine, permet de rapatrier de la valeur ajoutée et des emplois en Europe. Développer les éoliennes et le solaire, construire des voitures efficaces et renforcer le transport public c’est aussi rapatrier de la valeur ajoutée en Europe et y créer des emplois. Et donc, un des défis pour les écologistes c’est de montrer que l’Europe doit réinvestir en priorité dans l’énergie.

Oui, mais, avec quel argent?

La mauvaise nouvelle, c’est que le budget européen avec 1%, est insuffisant. Cette bataille du budget européen a été clairement perdue.  Mais en même temps, il faut bien voir qu’il y a quand même 23 milliards dans les fonds structurels pour l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables.  Un projet phare pour les écologistes européens doit être de créer un effet levier avec cet argent sur les crédits à l’investissement de la Banque Européenne d’Investissements.  La BEI, la plus grande banque publique mondiale, pourrait créer un accès aux capitaux à bon marché pour la rénovation du bâtiment, le développement de l’éolien et du photovoltaïque (pour y regagner de la compétitivité par rapport à la Chine). Elle pourrait aussi contribuer à moderniser les réseaux européens pour faciliter l’intégration, notamment de l’éolien massif.

Comment vois-tu l’avenir des négociations internationales sur le climat ?  

Le Sommet de Copenhague a été un vrai échec, notamment à cause des divisions intérieures de l’Union européenne.  Les Européens ont aussi commis l’erreur de croire à une alliance avec Obama alors que celui-ci n’avait pas de majorité aux Etats-Unis pour avancer. Nous devons donc apprendre de nos erreurs si nous voulons réussir le Sommet de Paris en 2015. Il faut d’abord réaliser les promesses financières qui ont été faites aux pays en voie de développement après Copenhague et notamment à Cancun. Si le Green Fund ou le Climate Fund n’est pas mis en place,  il n’y a aucune chance d’avoir un succès à Paris.

Et qui sera à la manœuvre pour faire ça ?

Ce sera la prochaine Commission européenne et le gouvernement français qui présidera la Conférence de Paris. C’est un rendez-vous très important pour Pascal Canfin, le Ministre EELV du développement. De plus, c’est le Luxembourg qui présidera l’Union européenne au cours de la seconde moitié de 2015, Carole Dieschbourg.  Mais nous devons aussi construire un mouvement mondial avec des acteurs comme les villes. Il y a aujourd’hui plusieurs réseaux comme le Climate Alliance, Energie Cité, le C40 de l’ancien maire de New York Michael Blumberg.  Leur objectif est entre maintenant et Paris, d’avoir 5 000 grandes villes mondiales qui s’engagent pour le climat.  Au niveau des énergies renouvelables,  il faut construire une alliance avec l’IRENA, qui est en fait l’organisation mondiale sur les renouvelables, pour montrer aux pays en développement que les énergies renouvelables peuvent être développées avec des coûts qui ont massivement diminué ces dernières années.

Faut-il aussi renouveler les mobilisations citoyennes ?

Comme José Bové, je pense que Paris doit être un « Seattle du climat ».  Donc il faudra dans les rues de Paris, en novembre 2015, des dizaines voire des centaines de milliers de citoyens pour mettre la pression sur les gouvernements.

Oui, mais il y a un peu de scepticisme après Varsovie. Devons-nous  continuer à autant mobiliser dans la rue ?

Varsovie, était une insulte au climat, aux générations futures de la part du gouvernement polonais . Heureusement, cela été perçu comme tel par toutes les autres délégations venues du monde entier à Varsovie. La Pologne a brûlé ses cartes internationales en changeant en plein de Ministre de l’environnement en plein au milieu des négociations.

Quel doit être le rôle des Verts dans cette mobilisation ?

Le rôle des Verts est triple. Aucune mouvance politique n’a autant d’expertise sur les politiques climatiques et sur la manière de les mener à bien en intégrant le social, l’emploi et le développement industriel. Nous devons apporter cette expertise dans les négociations. On doit pouvoir aussi se servir de nos présences dans les gouvernements français et luxembourgeois. Ensuite, les Verts doivent renforcer les réseaux des acteurs : les villes, les producteurs du renouvelable, les réseaux de l’efficacité énergétique.  Les Verts sont bons quand ils servent de boite de résonnance aux mouvements sociaux. Ils doivent donc être les catalyseurs du Seattle du climat qui aura lieu au Bourget à Paris.

Plus globalement,  après les élections européennes, nous devons être en mesure d’agir pour que la lutte pour le climat soit une priorité absolue, sur une planète où nous serons bientôt 9 milliards et où la plupart des écosystèmes sont déjà dans le rouge.

The Green Fights For Europe
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What has the Green movement been able to achieve and what will be the next key challenges for Europe and for the Greens?