Nous sommes dans les années 60, au cœur des Trente Glorieuses, les pays de l’OCDE sont en plein boum économique, industriel et technologique. C’est l’heureuse époque où le développement semble sans limite ; c’est l’époque du plein emploi, des ressources en matières premières qui paraissent infinies, à coup de pillage des pays pauvres qui ne sont souvent que des colonies, de droit ou de fait.

L’imagination des ingénieurs, des urbanistes, des industriels ne connaît pas la moindre limite. Tous ont le sentiment que les arbres peuvent monter au ciel, et plus loin encore.

De 1947 à 1973 l’indice annuel de la production industrielle est, en France, proche de +6%. En France, l’industrie aéronautique est en plein essor. En 1958 Sud-Aviation sort la Caravelle, un avion précurseur pour l’époque, qui connaitra un succès mondial. Malgré la réussite de ce moyen-courrier les ingénieurs de Toulouse voient plus loin, plus grand, plus puissant, plus rapide.

Car dès la fin des années 50 le projet d’un long-courrier supersonique est dans l’air en France et en Angleterre. Devant le gigantisme du projet, les gouvernements des deux pays forcent leurs entreprises à coopérer. Ainsi naîtra Concorde qui, en 1969, vole pour la première fois au dessus de Toulouse. Capable d’atteindre mach 2,2 à une altitude de 18 000 mètres le projet enthousiasme.

Dans le même temps la France est en pleine effervescence après le choc culturel de mai 1968. C’est l’époque de la Nouvelle Société, des métropoles d’équilibre, des grands projets d’aménagement du territoire. Justement, Olivier Guichard en est le Ministre. Député de Loire Atlantique de 67 à 97, Président de la Région des Pays de la Loire de 70 à 90 l’homme voit grand et loin pour sa région.

A ses yeux Concorde présente un atout important pour Nantes et sa région. Pensez-donc, il serait possible de relier Nantes à New-York dans le même laps de temps qu’Un Nantes/Paris en train. Las, l’aéroport de Nantes n’est pas vraiment calibré pour le colosse supersonique. Il faut donc construire un aéroport international à la hauteur du géant des airs. Le projet est mis à l’étude 1963.

De concorde aux crises pétrolières

Dès 1968 le lieu d’implantation se précise, à 20km au nord-est de Nantes, sur l’axe Nantes/Rennes, non loin de la commune de Notre-Dame-des-Landes. En 1974 les pouvoirs publics créent une Zone d’Aménagement Différé (ZAD) ayant pour objet d’acquérir 1250 hectares de terrains en vue d’y implanter le nouvel aéroport. Si les acquisitions foncière débutent le projet connaît déjà ses premiers ratés. En 1972 se créée l’ADÉCA : Association de défense des exploitants concernés par l’aéroport qui refusent de vendre leurs terres.

Mais le plus dur coup au projet sera porté par la guerre du Kippour et la chute du Shah d’Iran qui, en 1973 et 1979, donnent lieu à deux crises pétrolières majeures : montée du chômage, déficit budgétaire, plan de rigueur… Abandon du Concorde. Ainsi les arbres pourraient-ils ne pas monter au ciel…. Le projet est mis en veille, il y restera plus de 20 ans.

Le viol du Grenelle

Il renaîtra sous l’impulsion de Lionel Jospin en octobre 2000 afin de « valoriser  la dimension internationale et européenne des échanges de l’Ouest Atlantique. » C’est à ce moment que se créée une association, l’ACIPA, qui va fédérer et organiser à son tour la lutte sur le terrain en lien avec l’ADECA ; petit à petit de nombreuses associations, environnementales, mais aussi des partis politique dont les Verts et plus tard Europe Écologie Les Verts rejoindront  ces deux associations au sein d’un collectif de lutte « Non à l’aéroport ».

Sous l’observation attentive du collectif, s’ensuit une phase d’études objet d’un Syndicat mixte réunissant les Régions Bretagne et Pays de la Loire en 2002. Cette phase d’étude, non contradictoire, aboutit en 2007 à un rapport déclarant l’utilité publique du projet, malgré le Grenelle de l’Environnement qui, dans sa résolution finale, exclut toute nouvelle infrastructure aéroportuaire… Le Décret d’Utilité Publique (DUP), acte majeur du projet est publié le 10 février 2008.

Si l’action du collectif a été constante tout au long de la phase d’étude un événement majeur, qui aura de grandes répercussions sur le destin de la lutte, se fait jour : de nombreux jeunes, ils seront parfois plusieurs centaines, s’implantent sur le site. Ils y organisent en juillet 2009 un Camp Action Climat qui rassemblera plusieurs milliers de personnes.

Pour dire les choses exactement, cette cohabitation entre de jeunes urbains généreux, idéalistes, un tantinet anarchistes, à la recherche d’un autre monde possible, ne va pas de soi au contact des agriculteurs exploitants du site, mais, à force de d’échanger, de se parler, de mieux écouter l’autre, bon an mal an les choses se tassent. Le temps et la bonne volonté font leur œuvre. Un autre monde est possible, ils essayeront de le construire ensemble.

Grève de la faim, accord politique

Le collectif des opposants ouvre un autre front en pleine campagne présidentielle en avril 2012 : trois d’entre eux commencent une grève de la faim qui durera près d’un mois. Pour sortir de ce chausse-trappe le candidat Hollande promet, le 5 mai, s’il est élu, de ne pas entreprendre de travaux sur le site en attendant que les différents recours juridiques soient purgés. Les opposants ont en effet, avec l’appui d’avocats spécialisés dans le droit de l’environnement multiplié les angles d’attaque : loi sur l’eau mais aussi sur la biodiversité, DUP, etc. Le combat juridique passe même par Bruxelles et la Commission des Pétitions de l’Union Européennes où les écologistes sont représentés par Sandrine Belier.

Mais, patatras,  le 16 octobre 2012 l’opération César est lancée. Elle vise à déloger les squatters du site. Le Préfet de Loire Atlantique, alors que Jean-Marc Ayrault, ancien maire de Nantes, est Premier ministre, orchestre l’assaut.

Ce sera le point de départ de la médiatisation nationale de l’opposition au projet. Plus de 1200 gendarmes et policiers interviennent sur le site. La résistance sera rude et gagnante, contre toute attente du Gouvernement.

Il est vrai que des agriculteurs, essentiellement membres de la Confédération Paysanne, apportent leur soutien, et leurs tracteurs, aux jeunes assiégés.

Les cabanes des villages improvisés en pleine campagne, dont celui de La Châtaigne, deviennent des rendez-vous incontournables d’une gauche française anti-productiviste qui commence à douter du pouvoir socialiste en place incarné par le couple Hollande/Ayrault.

Élan national de solidarité

Le 17 novembre 2012 une manifestation populaire rassemble sur le site plus de 20 000 personnes arrivées de la France entière. Ils ne sont pas venus les mains vides mais qui avec des maisons préfabriquées, qui des vêtements, des bottes, des tronçonneuses, des outils, des planches, des boites de clous, des marteaux… Solidarité avec les Zadistes !

Car de Zone d’Aménagement différé, le sigle ZAD est devenu Zone À Défendre. Le zadiste n’est personne mais il est un concept qui, dans les mois et les années à venir fera florès de Sivens au TGV Lyon-Turin, d’Échillais à Roybon, du centre d’enfouissement de déchets nucléaire de Bure à Nonant-le-Pin. Notre-Dame-des-Landes a donné le LA du concept des Grands Projets Inutiles imposés les GPII ont consacrés les zadistes comme chercheurs d’un autre monde, plus égalitaire, plus humain. Utopistes les pieds dans la glaise.

Sur le terrain, pendant des semaines, des heurts violents continuent à opposer zadistes et forces de l’ordre. Les reportages télévisés, avides d’images fortes, montreront de véritables scènes de guérilla à travers champs et forêts. En février 2013, de guerre lasse, le Préfet s’engage à retirer les forces de l’ordre.

50,000 personnes dans les rues de Nantes

Un autre épisode de la lutte a marqué les esprits : le 22 février 2014 plus de 50 000 manifestants venus en famille défilent dans le rues de Nantes alors que le centre ville a été fortifié par des centaines de gendarmes mobiles. Alors que le défilé bon enfant s’écoule sur le parcours imposé par la Préfecture quelques dizaines de radicaux veulent en découdre avec les forces de l’ordre. Suivront deux heures  d’affrontements d’une extrême violence et des dégâts matériels importants sur les immeubles publics et privés.

Pour les organisateurs comme pour les habitants c’est un sérieux traumatisme relayé à l’envi par une presse accro au spectaculaire. Malgré tout, les opposants ont marqué un point en ayant fait la démonstration que leur lutte n’est pas confinée à une poignée d’irréductibles mais qu’elle touche  un large public qui ne comprend pas l’acharnement du Gouvernement socialiste. L’ayraulport n’est pas mort mais il a du plomb dans l’aile…

Les trois piliers de la lutte

Pour Julien Durand, adhérents d’Europe Écologie Les Verts et porte parole du collectif des opposants depuis plus de trente ans la route n’a pas dévié d’un iota : « Notre combat repose sur trois piliers. Les citoyens, le juridique, le politique.

« Pour ce qui est des citoyens nous faisons vivre un réseau de collectifs qui irrigue toute la France et avec qui nous avons des relations quotidiennes. Nous avons qu’à chaque moment le réseau peut se mobiliser. Il l’a prouvé à de nombreuses reprises.

« Du côté juridique nous faisons flèches de tout bois en diligentant des recours sur tout ce qui est contestable dans ce projet, à commencer par le mépris de toutes les réglementations de protection de l’environnement qui sont bafouées mais aussi les règles européennes qui n’ont jamais été prises en compte dans une présentation saucissonnée en de multiples dossiers.

« On nous parle d’un projet de 800 millions d’euros mais si l’on prend en compte les liaisons autoroutières, le projet de nouvelle liaison ferrée entre Nantes et rennes, voir un nouveau pont sur la Loire pour relier la Vendée, ce projet avoisinera les 3 milliards. Ce n’est pas la réalité affichée.

« Côté politique le chemin a été long. Les Verts et le Parti de Gauche nous ont rejoint les premiers. Nous pouvons compter aujourd’hui sur l’appui de personnalités comme José Bové, Eva Joly, Yannick Jadot qui ont toujours été présents y compris pendant l’opération César mais aussi Nouvelle Donne, Debout la république, le Modem et même le FN. Très récemment le syndicat CGT e Loire-Atlantique s’est également déclaré opposé au projet de Notre-Dame-des-Landes. Un vrai virage est une nouvelle fracture dans le concert des partisans de l’aéroport.

« Nous attendons sereinement le résultat de nos différents recours, dont ceux faits auprès du Tribunal Administratif. Nous sommes confiants, notre lutte est celle d’un autre mode du vivre ensemble contre un projet qui accapare des terres, se moque de l’environnement, s’imagine comme une solution aux crises que nous traversons, crises sociales, crises économique, crises environnementales et climatiques.

«  Nous ne lâcherons rien ! »

Connecting the Struggles
Connecting the Struggles

Can we connect the local struggles playing out across Europe and beyond? And if so - what does the bigger picture look like? The latest edition of the Green European Journal aims to find out!