Ca y est ! Après des semaines de campagne intensive, Syriza a marqué l’essai en remportant largement les élections législatives grecques ce dimanche 25 janvier. Le parti d’Alexis Tsipras, en obtenant 36,3% des voix et 149 sièges au Parlement, rate de peu la majorité absolue (deux sièges, la majorité absolue étant à 151 sur 300). Après avoir secoué l’épouvantail du Grexit, sortie de la Grèce de la zone Euro avec ses dangereux effets collatéraux, ou encore crié à la banqueroute grecque, voir à la fin de l’UE, les banquiers et technocrates de la Troïka (Commission Européenne, BCE et FMI), tout comme la droite et une partie des sociaux-démocrates européens, se rendent aujourd’hui à l’évidence : Syriza a gagné les élections, et ce sont les Grecs, peuple souverain, qui ont choisi. Cela force enfin tout le monde à réfléchir à l’avenir politique de l’Union européenne.

Oui, faire de la politique au sein des instances européennes avec un autre instrument qu’un plan comptable général. Comprendre enfin que les peuples européens ne sont pas contre l’idée d’Europe, mais en ont assez de celle qu’on leur impose avec comme seule perspective des plans d’austérité permanents et de dérégulation du peu qu’il reste encore de leur Etat providence. Au « there is no alternative » néolibéral habituel, Syriza a clamé haut et fort tout au long de la campagne « si si, il y en a d’autres », et les Grecs ont eu envie d’y croire. Qui sont-ils, ces dirigeants européens, à l’instar de Merkel et Schäuble en Allemagne, pour dire au peuple grec ce qu’il risque et ce qu’il devrait faire avant des élections dans son propre pays ? Cette forme de néocolonialisme par la dette et l’argent qui a eu court ces derniers mois était proprement insupportable. La droite grecque de Samaras, avec sa « Nouvelle démocratie ou le chaos », le chaos étant bien sûr Syriza, n’a pas non plus eu peur du ridicule. A l’issue de près de cinq années d’austérité imposée par la troïka qui ont conduit le pays dans un total désastre économique et social, c’est d’ores et déjà le chaos. Les services publics grecs ont été quasiment intégralement détruits, des dizaines de milliers de fonctionnaires licenciés et des entreprises publiques majeures vendues à des firmes multinationales. Les 240 milliards d’euros versés par l’Union européenne et le FMI ont servi à rembourser les détenteurs des titres de la dette publique grecque, et les citoyens grecs n’en ont absolument pas vu la couleur. Dans ces conditions, ces derniers ont fait preuve de beaucoup de raison en votant majoritairement pour Syriza et non pas pour Aube Dorée par exemple (le parti nazi) qui a réuni 6,28 % des voix. Cela confère aujourd’hui à Syriza et Alexis Tsipras une immense responsabilité et ils sont pour le moins « condamnés à réussir ». Bref, la victoire de Syriza est donc une bonne nouvelle pour les Grecs et pour l’ensemble de l’UE.

Si tout cela est partagé par de plus en plus de monde et que beaucoup a déjà été dit et écrit sur la victoire de Syriza, il y a par contre un certain nombre de fantasmes et de récupérations politiques qui sont proprement insupportables, à commencer par la récupération honteuse de Marine Le Pen et du Front National qui félicitent Alexis Tsipras pour sa victoire alors qu’ils ont des liens avec Aube Dorée en Grèce.

Mais focalisons-nous surtout sur la gauche de l’échiquier politique européen : le grand écrivain uruguyen Eduardo Galeano écrivait dans Les veines ouvertes de l’Amérique Latine que les gauches européennes devaient cesser de ne voir le continent latino-américain que comme un grand laboratoire in vivo de leurs fantasmes idéologiques, une sorte d’inconscient géant de leurs propres désirs. Car les peuples et leurs réalités, sociale, économique, historique et géographique, n’étaient absolument pas les mêmes. Si bien entendu des leçons étaient à tirer et des partenariats à maintenir, il fallait arrêter de transposer en permanence des schèmes de pensée des gauches européennes sur leurs « soeurs » latino-américaines.

Il en va de même avec ce qui se passe actuellement en Grèce. Si la victoire de Syriza est une très bonne nouvelle pour la réorientation de l’Europe, elle ne constitue en aucun cas une obligation pour un certain nombre de partis de gauche en France de s’allier automatiquement. Parce que ce serait faire une nouvelle fois du franco-centrisme insupportable pour les autres pays, Paris ayant souvent tendance, surtout à la suite des grandes manifestations de ces derniers jours, à se considérer comme le « centre du monde ». Parce que ce serait de nouveau la preuve que la gauche française pense l’Europe comme « une France en grand » au lieu de se hisser à la hauteur des enjeux de l’ensemble du continent, pour les traiter dans leur complexité plutôt que de se contenter de postures politiques (la crise morale qu’elle connaît actuellement vient également de son incapacité à penser correctement l’Europe). Parce que ce serait s’absoudre de repenser en profondeur la crise immense que connaissent les partis politiques français. Finalement, le colonialisme et le paternalisme idéologiques d’une certaine gauche franchouillarde vis-à-vis de Syriza ne sont guère plus respectueux des peuples visés que le colonialisme économique de la « droite ». Sachant qu’en ce moment, Syriza est en train de négocier un partenariat de gouvernement avec une petite formation souverainiste de droite, l’AN.EL de Panos Kammenos, née en février 2012 d’une scission dans les rangs de Nouvelle démocratie, le parti du premier ministre sortant Antonis Samaras, comparaison n’est absolument pas raison avec la situation en France, n’en déplaise à Jean-Luc Mélenchon. Pour résumer, c’est un peu comme si le Front de gauche s’alliait avec Debout la République de Nicolas Dupont-Aignan pour pouvoir gouverner. Le scrutin grec, à la proportionnelle, est de toute façon totalement incomparable avec la 5e république française et son scrutin majoritaire obligeant à des jeux d’alliance préélectoraux bien souvent illisibles pour les électeurs. Alors si inspiration grecque en France il doit y avoir, ce serait plutôt pour demander d’urgence la proportionnelle, promesse de campagne non tenue jusqu’alors par François Hollande.

En tous cas, l’écologie politique étant un système de pensée exigeant cherchant à expliciter la complexité du monde pour réconcilier l’homme à son environnement, elle n’a pas à entrer dans le jeu des fantasmes idéologiques autour de la victoire de Syriza pour régler ses comptes avec le Parti socialiste en France. Les écologistes grecs ont le devoir de travailler dès à présent avec Syriza pour que son programme politique à l’épreuve du pouvoir prenne en compte la nécessité de la transition écologique, et c’est ce qu’ils font. Nous écologistes européens devons les soutenir dans cette démarche, et promouvoir à l’échelle européenne notre modèle alternatif, aujourd’hui avec Syriza, demain avec Podemos fonction de son évolution, etc. Nous avons le devoir et la possibilité historique de participer à la réorientation de l’Europe. Mais nous ne devons pas préempter le débat politique grec pour régler nos tambouilles électorales nationales. Ce serait faire injure à l’intelligence de tous les citoyens, capables de se lever par millions ensemble lorsqu’il s’agit de défendre l’essentiel, mais plus que fatigués des joutes politiciennes nationales. La victoire de Syriza n’absoudra absolument pas les écologistes français de repenser entièrement leur stratégie, leur autonomie et leur raison d’être, afin de privilégier enfin la réflexion sur les alliances électorales. Alors allons voir chez les Grecs, mais laissons-les gouverner en paix.

 

Cet article a été publié à l’origine à Mediapart.