Pour un politicien, être proches des gens signifie être présent dans leurs luttes. Pour José Bové, devenir plus institutionnelle peut seulement fonctionner si les membres du mouvement Écolo n’oublient pas leur débuts radicaux.

 

De la Hongrie à la Grande Bretagne, de la Pologne à la France, on te retrouve  présent sur le champ aux cotés des activistes dans de nombreuses mobilisations à travers l’Europe. Globalement, que se passe-t-il et quels sont les enjeux ?

On est actuellement confronté à une série de mobilisations de différents types en Europe. D’abord il y a des mobilisations qui portent sur des enjeux de territoires – protection de régions rurales, et de zones naturelles.. C’est quelque chose qu’on se voit de développer dans beaucoup de pays européens et c’est clairement aujourd’hui un axe défensif important face à des projets industriels, d’aménagement d’infrastructures, commerciaux, etc. Le plus emblématique est le projet d’aéroport de Notre Dame des Landes près de Nantes, mais il y a aussi par exemple la liaison à grande vitesse Lyon Turin en Italie, qui sont avant tout des batailles de territoire, mobilisées à partir d’une contestation contre un projet particulier. On voit aussi des micro-luttes contre les installations de supermarchés ; ou encore en Allemagne, le mouvement contre les mines de charbon à ciel ouvert, qui pourrait prendre de l’ampleur. Ce sont des destructions de territoire qui cristallisent une opposition et  un rejet catégoriques. Ça peut être contre les aéroports, le charbon, le gaz de schiste comme en Grande Bretagne… C’est un axe de bataille qui se développe pour une simple raison : tous ces combats menés pour des raisons différentes touchent à des choses essentielles : l’eau, la terre, les ressources naturelles… En outre, ces  résistances sont renforcées parce que les gens se disent : ‘sur ces combats-là, on peut gagner’. Ce sont des luttes locales, mais quand on fait l’addition de ces luttes locales, elles dessinent en même temps la contestation d’un modèle.

Mais s’agit-il alors d’une forme de ‘Nimbysme’ (Not in my Backyard) ou bien ces luttes vont-elles au-delà?

Évidemment, le nimbysme est souvent dénoncé par les promoteurs. Mais il y a toujours une prise de conscience quand « ton » territoire est détruit. Les gens ont le droit de participer à l’avenir économique de leur territoire, petit ou grand. Ce type de résistance est légitime et souvent c’est même le seul droit qui reste car les gens ne maitrisent plus rien, ni leurs salaires, ni leur emploi, etc. Mais dans les luttes de territoire, on peut agir : on peut se dire ‘l’eau ou la terre que j’ai sous les pieds jamais on la détruira’ – ça, ça cristallise, ça touche les gens au-delà des réseaux militants  et des positionnements politiques. On est dans le concret et ça crée une dynamique collective qui débouche ensuite souvent sur des alternatives. Ensuite, ce qui est intéressant c’est que ces luttes de territoire amènent des réflexions sur les alternatives – que ça soit sur l’énergie, les transports, la consommation… Et on retrouve chaque fois dans les collectifs qui se mettent en place par après, les débats qui permettent de sortir du nimbysme. Ça peut même ensuite se traduire dans des élections locales par l’élection des personnes qui ont mené les combats, comme en France récemment

Cette vitalité des luttes, cette diversité sur le territoire Européen est liée à la défense du territoire : les manifestations qu’on a vues en Bulgarie, en Roumanie, en Pologne – au départ c’était pour défendre leur terre, principalement contre l’accaparement du territoire par les industries extractives (gaz de schiste, mines d’or, etc.). On a parfois l’impression que c’est émietté, que les combats sont locaux, mais si on réunit l’ensemble, on s’aperçoit qu’on a des réseaux solides, qui ne s’inscrivent pas dans une logique politique électorale a court-terme.

En plus des luttes sur les questions environnementales, on voit aussi des manifestations sur des questions sociales, notamment dans le sud de l’Europe, le mouvement des indignés en Espagne, en Grèce, au Portugal…

Il y a une différence. Certes, on y retrouve la contestation du modèle mais à la sortie de ces mouvements, ce qui en résulte, ce sont les concrétisations qui se mettent en place en suite en termes d’alternatives – comme les coopératives qui se créent par exemple – et il y a un bouillonnement social autour de ces actions. Il y a de bonnes nouvelles, parfois, comme en Catalogne avec l’élection d’une « Indignée », Ada Colau, qui vient de la lutte « anti-éviction » de Barcelone. Mais la sortie politique est plus dure. Parce que dès qu’on arrive dans la confrontation politique, on se heurte à une difficulté majeure : le faite que c’est très difficile de porter des alternatives dans la construction européenne telle qu’elle est et dans le modèle économique libéral ‘mainstream’ – c’est par exemple la Grèce qui est obligée petit à petit de faire des concessions et le gouvernement grec doit s’adapter, et en Espagne où Podemos a dû rabaisser ses prétentions de force antisystème hégémonique, pour se diriger plutôt vers la realpolitik et faire partie de coalitions – ce ne manquera pas d’engendrer des frustrations. C’est là tout l’enjeu ou la complexité d’un mouvement comme celui des écologistes au sens large : à la fois de porter des combats radicaux et être pragmatique dans les alternatives – avec pourquoi pas la recherche ds compromis, sans se renier.

Par exemple,  il y a aujourd’hui à mes yeux deux combats globaux et déterritorialisés : c’est le TAFTA/TTIP et le climat. Sur ces deux mouvements on peut mesurer la capacité d’agir concrètement et la tentation de la soumission. Ainsi, une partie des opposants pourrait être tentés par un mauvais compromis,  ceux qui se disent que lutter contre le libre-échange ne sert à rien et qu’on peut accepter TAFTA sans le dispositif ISDS (tribunaux arbitraux privés). Ça peut devenir une ligne de fracture. A mon avis la lutte contre le TAFTA n’a de sens que si on est capable de mener la bataille contre la logique du libre-échange. Si un mouvement d’opposition sort de cette logique, c’est comme se mettre en retrait du mouvement de contestation, parce que aujourd’hui la lutte anti-TAFTA est une lutte contre le modèle économique dominant.

Le libre-échange est un de tes principaux chevaux de bataille. Et quand tu as démonté le McDonalds de Millau en 1999 l’idée était de s’attaquer à un symbole. On voit bien la force symbolique mobilisatrice avec l’eau ou la terre qui nous touchent directement  – mais où est le symbole pour le climat qui parait souvent trop abstrait ?

C’est ça qui est très compliqué avec le climat. Avec TAFTA, ou on peut identifier les effets concrets néfastes du libre-échange ou de certaines entreprises avec les OGM, sur l’alimentation par exemple. Comment peut-on crée une envie positive sur quelque chose dont les effets sont lents (sauf à des moments de crises, comme de sècheresse, grandes tempêtes) et décalés. C’est en effet très compliqué d’organiser la mobilisation ; mais justement pour moi cette mobilisation peut et doit se faire en lien avec la lutte contre le libre-échange. Car le rôle des multinationales dans la destruction du climat est fondamental, que ça soit par l’énergie, l’agriculture industrielle, les transports, etc… En outre, tous les outils économiques mis en place le sont pour augmenter l’espace et le pouvoir des multinationales. Donc la lutte contre le changement climatique passe aussi par la remise en cause du modèle économique dominant ; et si on ne fait pas le lien entre les deux on finit par faire du greenwashing. Mais cette lutte passe par des actions ciblées pour mettre une pression sur les acteurs : un exemple récent c’est l’église anglicane britannique qui vient de retirer tous ses actions liées au gaz et au pétrole. Bien sûr, ce n’est pas une manifestation de rue, mais s’il n’y avait pas eu l’ensemble du mouvement de protestation derrière, jamais il n’y aurait eu de telles pressions sur cette institution. Donc on lie les deux en permanence.

Après le coup du MacDo, tu as été arrêté ; d’autres activistes le sont aussi régulièrement pour leurs actions sur le terrain. Trouves-tu qu’en Europe le climat anti-militant, anti-activisme soit en train de se durcir ? Est-ce que le gouvernement français est un bon exemple de dureté dans la répression comme à Notre Dames des Landes ou à Sivens ?

Là on pose la question de la stratégie de l’action. En général les Etats et les pouvoirs économiques n’aiment pas les gens qui contestent – c’est logique car ça va contre leurs intérêts donc. Donc quand tu conteste un modèle – la première chose, et c’est pour moi la question centrale, c’est de gagner la bataille de l’opinion publique, sinon il est impossible de faire le rapport de force. Donc la stratégie doit permettre de gagner l’adhésion du plus grand nombre ; c’est ce qui permet de renverser la logique de la répression, face à l’Etat. Cela signifie aussi que certaines formes d’action sont contre-productives, par rapport à cette stratégie. La radicalisation, les affrontements, les cocktails-molotov etc. ne sont pas une stratégie aujourd’hui qui permet de conquérir l’opinion. A l’époque, si on avait voulu s’opposer par la violence contre l’armée pour défendre le Larzac, on aurait perdu. Face à l’armée il paraissait évident de faire comprendre aux gens que une résistance « armée » n’avait pas de sens. Pour moi la stratégie de l’action non-violente est fondamentale dans l’ensemble de ces combats.

Ça ne veut pas dire qu’on ne fait rien. Ça veut dire qu’on réfléchit aux façons de résister. Par exemple, à Notre Dames des Landes, la très large partie de la mobilisation de blocage s’est faite de manière non-violente – c’est-à-dire la création de ZAD (Zone à Défendre), de squats (qui sont à la base la même chose :occuper le terrain pour empêcher un projet et  bloquer le processus). A Notre Dames des Landes il y a eu aussi une forme de radicalisation, très minoritaire mais qui a entrainé un sur-déploiement des forces de l’ordre ;c’est cette réaction disproportionnée qui a amené malgré tout la solidarité et le renforcement des gens – mais ça aurait tout à fait pu basculer autrement.

A travers des actions symboliques on cherche à capter l’attention du grand public, mais bien souvent cela passe par les medias qui servent de courroie de transmission. Mais le problème c’est qu’on ne sait pas à l’avance quel élément va être le déclencheur.

Dans beaucoup de cas, comme celui du démontage du Macdo, c’est justement la répression et l’incarcération qui fait passer l’histoire dans l’opinion publique. L’action du démontage, avec le cri de ralliement « l’OMC rentre dans nos assiettes » aurait pu passer complètement inaperçu sans la répression qui a suivi. La répression et le jeu du pouvoir : j’ai refusé de payer une caution pour sortir de prison – le message c’est que c’est moi qui décide quand je sors de prison et non pas les autorités, c’est-à-dire une forme d’inversion de la logique.  A la fin, ce sont les paysans américains d’un syndicat, adherent de la Via campesina, ami qui ont fini par envoyer le chèque pour payer la caution en disant qu’ils nous soutenaient. Et ça ca contribue encore à renforcer l’histoire. Dans une action non-violente de désobéissance comme cella la, la répression fait partie de l’action. La prison renforce l’action et construit le mouvement, les choses s’enclenchent, parce qu’on fait tomber l’Etat dans le piège de la répression.

Le rapport au pouvoir pose la question des partis politiques : les partis écologistes ont des racines activistes – mais aujourd’hui ils semblent être marginalisées ou carrément rejetées par ces mouvements. Est-ce que c’est une fatalité ?

C’est le problème de la constitution des mouvements politiques. Avec le mouvement anti-nucléaire de la fin des années 70s, qui s’élargit au niveau européen, c’est la contestation par l’action concrète qui est fondatrice chez les verts européens. Ce sont ces batailles de terrain, ces manifestations, qui ont construit l’idée qu’il fallait pouvoir lutter politiquement aussi et donc  créer une force politique pour porter ces débats.

La question qui vient immédiatement après se pose à tout mouvement qui construit un tel espace politique –soit il s’institutionnalise, soit il s’auto-dissout. Et à partir du moment où on s’institutionnalise en tant que parti politique dans l’espace public, on a deux solutions : continuer en se conformant a tous les codes, ou continuer à porter sa radicalité, en faisant un pas de coté.

Pour moi l’écologie politique n’a d’avenir sur le long-terme que si elle est capable de porter cette radicalité – qui n’est pas simplement une radicalité dans le discours (qui est aussi nécessaire) mais aussi dans l’action. Le problème, c’est que les partis verts qu’on a aujourd’hui sont surtout des partis d’élus, plutôt que de militants. Ca veut dire que l’espace politique est construit plutôt autour de ceux qui siègent dans les assemblées, de la commune au parlement, plutôt que dans les mobilisations de tous les jours. Et c’est pour ca que les gens qui sont dans les combats ne se reconnaissant pas forcement dans les Verts pour porter les solutions ou l’accompagnement dans ces combats. Parce que les personnes qui incarnent le mouvement politique, à tort ou a raison, ne sont pas perçues comme celles qui portent la contestation, ou qui ont la capacité de tenir tête à un pouvoir établi.

Donc il faut que les élus ou les responsables politiques du mouvement soient capables de bousculer l’ordre et d’être toujours « un pas à côté », avec des antennes toujours tournées vers les mouvements sociaux et vers la réflexion telle qu’elle se passe réellement dans la société. Le risque pour les mouvements écologistes c’est de se décaler uniquement dans l’institutionnel et de ne plus avoir les antennes levées.

Reconquérir et se réapproprier cet imaginaire, passe d’abord par la capacité à être sur le terrain et surtout à porter de manière forte les interrogations de la société, et être capable de les traduire en actes. Être du côté des gens, ça veut dire entretenir cette ouverture permanente sur les combats qu’ils incarnent, de l’énergie à l’agriculture… On ne peut pas doit gagner chaque fois, mais il faut pouvoir incarner ces histoires, ces sujets fondamentaux, là où on nous attend et là où on est capable de faire bouger les lignes. Les écolos doivent être en permanence dans l’indignation ou en colère par rapport a ces sujets la qui font sens pour les gens ; non pas pour faire des compromis, mais pour mener des vrais batailles.

Etant donné toutes les faiblesses du système politique européen d’aujourd’hui, du manque de démocratie au pouvoir des lobbies (mention de Hold up à Bruxelles), comment vois-tu l’évolution générale des combats ? Plutôt optimiste ou pessimiste ?

Moi j’essaie toujours d’être un « pessimiste actif ». Quand tu vois le monde tel qu’il est et que tu vois les forces qui sont coalisées sur un projet radicalement opposé au  nôtre, tu te dis que ce n’est pas possible de gagner. Or on avance quand même, on gagne des batailles. Même sur le changement climatique – c’est déjà une sacrée victoire que ca devienne un enjeu. C’est devenu un enjeu politique planétaire, parce que depuis 40 ans il y a cette réflexion sur le modèle de croissance, le modèle énergétique, les modes de consommation, etc. qui est devenue centrale. La grande victoire du mouvement écologiste dans son ensemble c’est d’avoir été capable de mettre des sujets fondamentaux au cœur du débat politique. Sur la question de faire rentrer nos sujets dans le débat, on a clairement prouvé sur ces 40 dernières années que c’était possible.

Le message est clair : il faut continuer sans relâche à relayer les luttes de terrain et à les relier entre elles.

Connecting the Struggles
Connecting the Struggles

Can we connect the local struggles playing out across Europe and beyond? And if so - what does the bigger picture look like? The latest edition of the Green European Journal aims to find out!