Une interview avec Yannick Jadot, MEP.

Green European Journal: La COP 21 ce n’est pas loin. Est-ce que c’est une conférence de dernière chance et si ça ne l’est pas, comment résumeriez-vous le ou les enjeux centraux de cette évènement ?

Yannick Jadot: Pour moi l’enjeu de cette 21eme COP c’est de savoir est-ce que finalement les Etats vont commencer à rattraper la société et l’économie qui agissent en faveur du climat. Je ne fais pas partie des gens qui considèrent que le processus des Nations Unies est sans importance ou que c’est forcément voué à l’échec. Les Etats ont des responsabilités considérables aujourd’hui en matière de lutte contre le dérèglement climatique. Le choix des infrastructures énergétiques, de transport, le type d’agriculture – sont encore pour beaucoup la compétence des Etats. Donc on ne peut pas lutter contre le dérèglement climatique sans les états.

Aujourd’hui, un peu partout dans le monde, il y a ce que j’appelle une ‘révolution citoyenne’ dans la lutte contre le dérèglement climatique – ce sont des citoyens qui changent leurs comportements, des coopératives d’énergies renouvelables, des consommateurs qui veulent une alimentation de qualité et une agriculture responsable. On voit des villes et des régions qui ont des objectifs forts en matière de réduction de gaz à effet de serre. Donc il y a déjà une partie de l’opinion publique qui n’est pas seulement sensibilisée au dérèglement climatique parce qu’ils en voient les impacts – y compris parfois personnellement – mais il y a aussi une partie qui s’organise et qui est prêt à lutter contre le dérèglement climatique ou qui le fait déjà.

Et puis il y a une révolution économique. Aujourd’hui dans le monde, plus de la moitié des infrastructures énergétiques installées sont des énergies renouvelables. En Europe c’est autour de 80%. Depuis Copenhague, le prix du photovoltaïque a probablement été divisé par quatre  Donc, au-delà de l’urgence, on a une révolution économique dans le domaine de l’énergie qui nous donne les moyens d’agir efficacement contre le dérèglement climatique. En plus, l’éolien terrestre comme de photovoltaïque sont aujourd’hui des énergies moins chers que le gaz, le nucléaire et le pétrole. Donc on a ces deux révolutions qui sont en marche. Mais on a des états et des dirigeants qui restent encore prisonniers à la fois des lobbies des énergies fossiles et d’un imaginaire économique qui font qu’ils résistent à ce basculement du vieux monde vers un nouveau monde.

Donc pour moi la COP 21 ce n’est ni la conférence de la dernière chance, ce n’est pas non plus – comme le veulent les organisateurs à Paris – le début d’un nouveau processus, c’est malheureusement une réunion de plus ou tout ce qui sortira de positif c’est tant mieux mais où il y aura beaucoup de déception par rapport à la capacité des Etats à la fois à entendre l’alerte scientifique, à écouter une opinion publique qui est globalement prête, et à utiliser la révolution énergétique qui leur permet de lutter contre le dérèglement climatique.

Votre codéputé Bas Eickhout dit que sur le climat l’opinion publique est loin devant les dirigeants politiques qui trainent – êtes-vous d’accord ? Est-ce que des campagnes comme celles du désinvestissement des énergies fossiles nous montrent qu’il est possible de faire avancer les choses sans les dirigeants ?

On n’a pas toujours besoin des dirigeants, il faut agir même si les états n’agissent pas – mais on aura aussi besoin d’eux, donc ces mobilisations ne doivent pas ignorer la responsabilité des états.

A Copenhague, l’opinion publique s’était mobilisée dans un message très fort vis-à-vis des dirigeants du monde pour dire : nous attendons que vous teniez vos engagements a sauvez le climat. Cette fois la situation est différente – il y a un sentiment que nos dirigeants sont impuissants ou qu’ils ont renoncé à transformer la société (c’est aussi vrai dans d’autres domaines comme la finance) mais surtout, les citoyens ont été quelque part ‘déniaisés’, ils ont perdu beaucoup de naïveté, parce qu’ils voient bien que la lutte contre le dérèglement climatique c’est aussi un défi qui nécessite de combattre des lobbies et des industries qui font tout pour empêcher de lutter contre le dérèglement climatique. Donc il y a une compréhension de tous les enjeux derrière cette lutte : c’est le changement de système énergétique, d’industrie, plus de solidarité Nord-Sud et puis il y a le sentiment que nos dirigeants n’ont pas le courage de faire les changements nécessaires. Donc les mobilisations aujourd’hui ce n’est pas de demander aux leaders de montrer le chemin mais plutôt leur dire : Regardez ce qui se passe, regardez la science, l’opinion publique qui est prête à changer, les possibilités financières, technologiques qui nous donnent les moyens de changer profondément notre système, sans que cela produise plus de crise économique mais au contraire – qui est une opportunité pour crée de l’activité économique et des emplois. Donc les choses ont basculé. Du coup, les mobilisations se font moins sur une demande d’action, mais plutôt pour dire : nous, nous agissons.

Les campagnes autour des énergies renouvelables c’est très important pour nous écologistes car c’est une réappropriation citoyenne de l’énergie à travers les coopératives etc., et puis il y a la campagne sur le désinvestissement qui nous dit que la lutte contre le dérèglement climatique ça peut être une guerre de libération dans le sens où on peut collectivement se libérer d’une industrie destructrice qui soutient des dictatures dans le monde, qui participe d’une économie rentière… Cette campagne de désinvestissement – qui est probablement la plus belle campagne environnementale depuis de nombreuses années – c’est à la fois des citoyens, des consommateurs, des épargnants qui disent : moi aussi je peux agir pour stopper la destruction du climat. C’est vrai que c’est une campagne extrêmement positive et puissante mais la seule difficulté est qu’au fond ce n’est pas complètement le sujet de la COP 21. La COP 21 ne va pas décider d’un pourcentage d’énergie renouvelable, ou de la suppression des subventions aux énergies fossiles. Ce qui veut dire que le renoncement, le manque de courage des Etats crée au fond une déconnection entre les mobilisations, l’urgence climatique et l’action des Etats.

Comment voyez-vous le rôle de l’Europe en particulier dans les négociations ? Est-ce que le scandale ‘Dieselgate’ a affaibli sa position et la perception  que les autres acteurs ont de son rôle ?

Il n’y aura pas de bon résultat à Paris si l’Europe n’est pas leader, ça ne sera pas les Etats-Unis ou la Chine qui vont porter l’ambition de la lutte internationale contre le dérèglement climatique. Donc l’Europe doit conserver un leadership sur l’architecture de la COP, donc tout ce qui est monitoring, reporting, vérification des engagements (car ça ne sera pas un accord contraignant, on le sait déjà). En revanche l’Europe n’est plus leader sur la transition énergétique – compris comme élément de modernisation de notre économie et de création d’emploi. Le paquet de 2030 est une régression par rapport au paquet climat/énergie 2020, de ce point de vue-là.

Dans ce cadre-là, le scandale Volkswagen c’est afficher clairement qu’au fond on crée des normes pour la santé et l’environnement et que les industriels, avec la complicité des Etats, organisent le mensonge et le détournement des normes. Le problème est que ce sont les constructeurs et les Etats qui ont organisé la fraude et cela crée évidemment encore un peu plus de défiance de l’opinion publique vis-à-vis des dirigeants et des entreprises et ça c’est mauvais pour tout le monde. Malheureusement on voit que ça ne crée pas la réaction nécessaire qui serait de dire que nous nous engageons pour que cette fraude s’arrête dans un certain délai – on voit plutôt que toute la négociation aujourd’hui entre la Commission européenne, les Etats et l’industrie automobile c’est, puisqu’ils n’ont pas appliqué les règles, comment s’organiser pour qu’ils continuent à ne pas les appliquer pendant encore de nombreuses années. Ce qui est complétement fou vis-à-vis de la communication envers les consommateurs.

Vous dites que pour Paris on n’a pas vu la même mobilisation de l’opinion publique qu’à Copenhague. Selon vous quelles en sont les raisons?  

Le contexte est diffèrent. C’est vrai qu’en 2009, il y avait déjà la crise financière mais pas la même crise économique, sociale et démocratique. Depuis l’échec de Copenhague en 2009, la stratégie d’une bonne partie de ceux qui s’opposent à une lutte sérieuse contre le dérèglement climatique ça a été de dire que la priorité c’est l’économie, l’emploi et que vouloir changer de système énergétique ou industrielle c’est remettre en cause l’économie et l’emploi. Donc ils ont gagné, en termes de communication, des batailles sur le chantage à l’emploi lié à la transition énergétique.

Mais ce qui est sûr, c’est que je ne sens pas, par rapport à il y a 6 ans, une mobilisation forte de l’opinion publique.  Je pense qu’il y a aujourd’hui un manque de confiance vis-à-vis des dirigeants qui fait que personne ne croit qu’ils sont capables de faire de grandes choses, alors qu’en 2009 il y avait ce sentiment qu’il allait se passer quelque chose. C’était la première grande conférence sur le climat depuis Kyoto et il y avait cette idée qu’on pouvait y arriver.

La mobilisation que les écologistes et les associations organisent s’est fortement orientée sur les solutions – l’idée qu’on vivra mieux en luttant contre le dérèglement climatique, on créera de l’activité économique, des emplois, donc du coup on aura des services publics, de la culture, la démocratie, la convivialité – car les gens ont le besoin de faire quelque chose ensemble. Je pense que cette stratégie-là est la bonne stratégie. Mais c’est vrai que dans le pessimisme d’aujourd’hui, beaucoup de citoyens sont victimes d’un sentiment d’écrasement, d’impuissance face à la globalisation, la finance, le dérèglement climatique… et aujourd’hui pensent qu’il y a une sorte de fatalité et donc ils ont du mal à se mobiliser. Donc il faut qu’on arrive à démontrer dans les semaines qui viennent, et après évidemment, qu’agir contre le dérèglement climatique ça peut être très local, très bénéfique à tout point de vue et que c’est aussi une façon de vivre mieux dans sa communauté.

On sait que beaucoup de personnes, écologistes et autres, iront à Paris pour manifester, pourrait-ce encore avoir un impact au niveau des négociations ou de l’opinion publique ?

La mobilisation est importante, bien sûr. On a vu l’impact du succès de la marche à New York ou plus récemment celle contre le TTIP à Berlin. Donc le succès de la marche à Paris sera évidemment un moment important de mobilisation. Surtout que dans cette COP 21, les dirigeants seront présents à Paris le premier jour des négociations, le 30 novembre. La marche ayant lieu la veille il y aura évidemment une connexion forte entre le succès de la marche et la présence des dirigeants européens.

Et comment vous sentez-vous globalement vis-à-vis de cette conférence – plutôt optimiste ou pessimiste ?

Je suis plutôt réaliste ou pessimiste sur la COP 21. Quand on voit ce que dit la science, l’évolution de l’opinion publique et qu’on voit que les solutions sont là, le résultat sera décevant. En revanche, je suis optimiste sur la société. Je crois qu’aujourd’hui il y’a beaucoup de choses qui sont en train de se développer – sur la transition énergétique, sur un modèle agricole plus responsable, sur les transports, etc. – et je crois qu’au fond le monde est en train de basculer, du vieux modèle vers un nouveau. Donc la question est : est-ce que les Etats prendront tellement de retard que finalement on n’arrivera pas à modérer suffisamment le climat, ou est-ce qu’on finira par avoir des dirigeants responsables qui diront qu’il n’est pas possible de ne pas agir face à la réalité du climat et face à la réalité de la société.