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Ni le Conseil européen des 28-29 juin, ni les engagements du Président de la BCE n’auront apaisé les tensions sur l’Espagne et l’Italie. En France, les nouveaux députés ont pris leurs fonctions après six mois de campagnes électorales n’ayant pas toujours réussi à dégager les lignes directrices de la nouvelle majorité.

L’adoption du « Paquet européen » – regroupant le Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance (TSCG), la Taxe sur les transactions financières, et le « Pacte pour la Croissance et l’Emploi » – sera l’un des principaux points de l”agenda parlementaire français en septembre. Source de débat au sein de la majorité présidentielle, l’adoption du TSCG divise également les écologistes, en France comme en Europe.

Grâce à la spécificité du système électoral de la V° République, les écologistes français se retrouvent dans une situation paradoxale. N’ayant recueilli que 2,31% des voix lors du premier tour de l’élection présidentielle, ils disposent de deux ministres au sein du nouveau gouvernement, d’un groupe de 17 députés à l’Assemblée nationale, et de 12 sénateurs. C’est la première fois qu’ils sont autant présents au sein de l’exécutif et des deux chambres du Parlement ! En comptant les 16 députés européens et leur présence dans nombres d’exécutifs locaux, l’influence verte n’aura sans doute jamais été aussi grande en France. Mais pour quoi faire, et avec quelles marges de manœuvre ?

A l’occasion du débat sur la déclaration de politique générale du gouvernement, le co-président du groupe Europe Ecologie Les Verts (EELV) à l’Assemblée nationale, François de Rugy, avait souligné “l’indépendance d’esprit, et la liberté de conscience et de vote” des députés EELV. Cette promesse sera confrontée à la réalité dès septembre. A la rentrée, le Parlement français doit en effet se prononcer sur un ensemble de textes présentés par François Hollande sous forme d’un « Paquet européen » : la supervision bancaire actuellement en cours de négociation et la taxe sur les transactions financières pour la solidarité et la régulation bancaire et financière ; le « Pacte pour la Croissance et l’Emploi » pour relancer l’économie et l’emploi en Europe ; mais aussi le TSCG pour la responsabilité budgétaire. Ce vote sera certainement la première difficulté à laquelle aura à faire face le nouveau Président. En déclarant le 9 août 2012 que la ratification du TSCG ne nécessitait pas de révision constitutionnelle, le Conseil constitutionnel vient d’éviter à François Hollande un vote des deux tiers du Parlement – pour changer la Constitution – dont il ne disposait pas. Néanmoins il doit toujours convaincre sa majorité parlementaire fortement divisée sur le TSCG. Ce vote sera également un premier test pour l’indépendance des écologistes au sein de la nouvelle majorité.

 

Une gauche française historiquement divisée sur les questions européennes

Avec la création d’Europe Ecologie – Les Verts, les écologistes sont les seuls à avoir réussi à faire la synthèse entre les partisans du « oui » et ceux du « non » au projet de Constitution pour l’Europe qui avait divisé les Français en 2005. Le Parti socialiste quant à lui doit toujours composer avec ces deux tendances : le nouveau Président et son Premier Ministre sont résolument pro-européens ; alors que le Ministre des Affaires étrangères et son Ministre délégué aux Affaires européennes étaient tous deux d’ex-défenseurs endeurs du « non » au projet de Constitution en 2005. Certes tout est dans le symbole, puisque traditionnellement en France, la politique européenne se décide à l’Elysée. Mais ces nominations révèlent de profondes divergences au sein du Parti Socialiste sur les questions européennes.

L’adoption du Mécanisme Européen de Stabilité (MES) par le Parlement français en février 2012 a mis à jour ces divisions. Selon un accord de principe entre les chefs d’États et de gouvernements signataires du traité MES, le recours au MES est conditionné à la ratification préalable du TSCG. Dénonçant ce lien entre solidarité et austérité, les socialistes s’étaient alors largement abstenus du vote du MES. Une position a minima qui permettait également de satisfaire les différentes tendances du Parti socialiste. Quant aux écologistes, ils ont voté contre le traité MES, aux côtés des députés du Front de Gauche mais aussi des partisans d’une « Europe des nations » du MPF et de Debout la République, et contre les résolutions du Parti Vert Européen et du groupe Verts/ALE au Parlement européen. Les eurodéputés Daniel Cohn-Bendit et Jean-Paul Besset, ainsi que les économistes Alain Lipietz, Yann Moulier-Boutang et Shahin Vallée avait alors violemment dénoncé la « bourde historique » de la gauche française qui s’est abstenue ou s’est opposée à la création d’un outil de solidarité financière au sein de la zone euro, pour lequel écologistes et socialistes français et européens se sont battus de longue date au Parlement européen.

 

Responsabilité ou solidarité, faut-il vraiment choisir ?

Malheureusement, ni la campagne présidentielle ni la campagne législative n’aura permis de dissiper cette ambiguïté. Bien que trois députés européens aient été candidats à l’élection présidentielle (Eva Joly, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen), l’Europe n’a pas fait l’objet d’un débat particulièrement novateur lors de la campagne. A gauche, François Hollande s’engageait à compléter le TSCG par un volet « croissance et emploi », qu’il a finalement obtenu lors du Conseil européen des 28-29 juin par l’augmentation du capital de la BEI, la mise en place de « project bonds » pour financer des grands projets européens et la réaffectation de fonds européens non utilisés. A droite, Nicolas Sarkozy faisait valoir sa gestion de la crise depuis son arrivée au pouvoir, et mettait en avant la nécessité d’une Europe plus protectrice, tant sur le plan économique (« Buy European Act ») que concernant l’immigration (révision du traité Schengen). Jean-Luc Mélenchon aura, lui, donné un second espoir à la gauche radicale en faisant campagne contre les politiques d’austérité imposée en Grèce, Portugal et Espagne, et en dénonçant une Europe libérale dominée par le monde financier. Quant aux écologistes, le relatif échec d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV) à l’élection présidentielle de mai 2012 a déjà été analysé par Erwan Lecoeur dans ce journal. EELV n’a pas réussi à capitaliser sur son succès lors des européennes de 2009 et des scrutins suivants : rassembler et élargir la famille écologiste française autour d’un projet commun. Paradoxalement « trop » Européenne, attaquée sur ses origines norvégiennes et son accent par ses opposants, questionnée sur ses compétences au sein même de son parti, Eva Joly n’a pas réussi à imposer ses thèmes et son parcours dans la campagne.

Certains diront – à tort – qu’en pleine crise économique, les enjeux environnementaux passent nécessairement au second plan. Mais en pleine crise européenne, la famille politique la plus fédéraliste n’a-t-elle rien à dire ? Plutôt que de s’opposer au MES, les écologistes n’auraient-ils pas du approuver ce premier pas vers une Europe plus fédérale, tout en refusant catégoriquement les politiques d’austérité suicidaires à court terme, mais surtout en s’appuyant sur les propositions alternatives développées par le Parti Vert Européen et le groupe Verts/ALE au Parlement européen ? Certes les campagnes électorales simplifient à l’outrance les messages politiques. Mais les écologistes disposent dorénavant d’un débat parlementaire sur le sujet. A cette occasion ils doivent refuser de voter le TSCG tout en réaffirmant leur solidarité avec les pays en crise. Le débat sur la « règle d’or » devra être l’occasion de concilier l’exigence de responsabilité – ne pas faire payer nos dépenses par les générations futures – avec les nécessaires investissements dans la transition écologique de notre économie. En adoptant la Taxe sur les transactions financières, les écologistes devront mettre en avant la nécessaire re-régulation de l’industrie financière, portée notamment par Pascal Canfin au Parlement européen avant de devenir Ministre délégué chargé du Développement. Ils devront également réaffirmer la nécessité d’allouer une partie significative des ressources de cette taxe à un budget européen réformé, disposant de ressources propres et consacré à la relance d’une économie européenne respectueuse de l’environnement et créatrice d’emplois. Ces débats sont les nôtres, nous les avons portés depuis des années, en France et en Europe. Être en responsabilité ne nous contraint pas à délaisser ces questions au profit de la « solidarité gouvernementale » ; cela nous offre l’opportunité de les imposer dans le débat public.

 

Gouverner en responsabilité ou débattre en toute indépendance : un débat franco-allemand pour les verts

Il est d’usage de dire qu’avec le pouvoir vient les responsabilités. Les Verts allemands ont en cela davantage d’expérience que leurs homologues français. Pourtant, il est plus que jamais crucial pour l’Europe qu’existe une alternative politique aux mesures d’austérité aveugles, sources de crises sociales et politiques majeures dans nos sociétés. Ces alternatives sont portées par les Verts au Parlement européen, mais insuffisamment relayées dans les débats politiques nationaux. Le débat tenu au sein des Verts allemands le 24 juin 2012 sur leur position concernant le TSCG est à ce point éclairant (http://www.gruene-bundestag.de/themen/euro.html). Certes les Verts allemands ont finalement soutenus le TSCG, mais ils l’ont fait à une très courte majorité, révélant les divergences d’interprétation sur la marche à suivre pour initier la dynamique d’alternative politique en Europe. Le message adressé par la Vice-présidente du PVE Monica Frassoni à cette occasion contient les principaux éléments de ce débat (http://europeangreens.eu/news/how-address-eurocrisis-spiral). En France comme en Allemagne, les Verts font face à une dilemme que l’on connaît maintenant trop bien : gouverner de manière responsable pour mettre en œuvre nos propositions ou conserver notre liberté critique et de proposition pour engager l’Europe dans une transition écologique et fédéraliste. Les Verts allemands ont préféré adopter le TSCG, nécessaire aux yeux de nombre d’électeurs allemands, en se félicitant d’avoir obtenu en contrepartie la taxe sur les transactions financières dans les États membres volontaires, tout cela dans un contexte de pré-campagne pour les élections fédérales de 2013. En France, EELV a soutenu François Hollande lors de la campagne présidentielle, pour en finir avec les mesures d’austérité à tout prix et relancer la croissance et l’emploi en Europe. Écologistes français et allemands saisissent l’opportunité tant attendue de participer au gouvernement pour porter leurs solutions à la crise. Mais cela pourrait avoir un prix.

Car les divergences de fonds existent. En adoptant le TSCG, les Verts allemands ont rappelé la nécessité d’un contrôle collectif des politiques économiques et budgétaires comme condition sine qua non d’une solidarité financière entre États membres. Ce message fort ne semble pas être compris chez les Verts français, qui sous-estiment une fois encore que ce sont bien les citoyens français, qui ont rejeté jusque là – en 1954, 1992, 2005 et peut-être en 2012-2013, un référendum sur le « Paquet européen » étant souhaité par une majorité de Français – une intégration politique plus forte en Europe. Sur le plan économique, nombre d’écologistes allemands s’opposent à la proposition de François Hollande – soutenu par les écologistes français – de créer des Eurobonds pour alléger la dette des États membres. L’opposition allemande partage quant à elle la proposition des « Sages allemands » (German Council of Economic Experts) d’un fonds de rédemption des dettes européennes, permettant de mutualiser et de réduire progressivement les dettes excessives accumulées depuis le début de la crise en 2008, dues principalement à la spéculation financière.

Il est encore trop tôt pour mesurer l’influence des écologistes en France dans les cinq ans à venir. Il serait incertain de prévoir une alternance politique en Allemagne en 2013 qui porterait une coalition SPD-Die Grünen au pouvoir, même si celle-ci est évidemment souhaitable. Une chose est sûre, cela aura une incidence sur les mesures prises pour sortir l’Europe de sa crise actuelle. Le débat franco-allemand est un élément majeur pour la construction européenne, il est une nécessité pour la réussite des écologistes aux élections européennes de 2014. Car les écologistes européens devront s’accorder sur un programme commun pour sortir de la crise actuelle. Ils pourront pour ce faire mettre en avant les succès de leur présence au Parlement depuis 2009 (REACH, ACTA, etc.). Mais les questions de politique économique, de démocratie et de délégation de souveraineté, seront probablement des éléments centraux du débat. Et sur ces sujets, les écologistes restent divisés.