Les médias traditionnels se passionnent plus pour la controverse et l’antagonisme que pour le réel combat des activistes écologistes. En agissant de la sorte, ils finissent par délégitimer la lutte pour l’environnement et entravent l’action climatique, affirme Stella Levantesi.

Sociopathes”, “vandales”, “éco-anarchistes”, “marchands de peur”, “fanatiques”, la liste est longue. Alors que les manifestations de désobéissance civile se multiplient, en réponse à l’inaction climatique et à l’obstruction des dirigeants politiques, des entreprises polluantes et d’autres groupes d’intérêt, les défenseurs du climat sont régulièrement étiquetés et accusés de tous les crimes dans les médias européens. 

Le prétendu ‘éco-extrémisme’ est utilisé comme une arme contre les militants, même contre ceux qui manifestent de manière totalement légale pour plaider en faveur de l’action climatique”, affirme Jennie King, responsable de la recherche et de la politique climatique à l’Institute for Strategic Dialogue (Institut pour le dialogue stratégique, ISD), une organisation à but non lucratif qui défend les droits humains et lutte contre la polarisation du débat public et la désinformation. 

Pour King, cette pratique est particulièrement marquée au Royaume-Uni et commence à s’installer en Allemagne. Selon une récente étude menée par l’ISD, sur plus de 400 titres parus dans des médias anglophones, germanophones et francophones présentant les militants climatiques comme une “menace pour la sécurité”, environ 80 % ont été publiés par des médias allemands. 

On retrouve par exemple dans ces titres des comparaisons avec la Fraction armée rouge (RAF), l’organisation terroriste allemande d’extrême gauche active dans les années 1970 et 1980. D’autres articles font, dans le même ordre d’idées, allusions à une interview parue dans le tabloïd BILD, dans laquelle un expert en terrorisme aurait mis en garde contre les militants climatiques “radicalisés”. 

Aucune distinction n’est faite entre [les manifestations] susceptibles d’aller à l’encontre de la société ou d’être considérées comme radicales, et l’idéologie qui sous-tend l’éco-extrémisme […] qui possède, lui, une histoire bien précise”, regrette King. 

L’ISD constate également que les médias traditionnels qui reprennent ce discours – même lorsque l’intention est de réfuter les liens entre les militants et l’écoterrorisme – peuvent être “facilement détournés par les médias alternatifs pour renforcer l’idée de ‘terroristes climatiques’”. 

Polariser, une manière d’éviter le vrai problème 

D’après King, les médias traditionnels de tous bords politiques “tombent dans le piège” en traitant les controverses qui entourent les manifestations de mouvements tels que Just Stop Oil et le Soulèvement de la dernière génération plutôt que de se concentrer sur les raisons et le contenu de leurs actions en faveur du climat. Les médias se retrouvent ainsi à mettre plus souvent l’accent sur la polarisation qui entoure l’activisme climatique aujourd’hui, que sur les problématiques liées à la lutte contre le changement climatique. 

Il est rare de trouver un article portant réellement sur les positions militantes de Just Stop Oil. En effet, 99 % d’entre eux traitent des méthodes utilisées par ces défenseurs, de leur légalité et des personnes qui les critiquent” explique King. “Il y a une tendance générale à faire de ces méthodes et de cet antagonisme le sujet principal des articles, plutôt que de parler des raisons et des positions qui sont défendues. Et c’est ainsi que les discussions sociales portent sur les militants et leurs méthodes, et non sur le problème réel et urgent qu’ils dénoncent.” 

En Italie, les médias traditionnels reprennent également les polémiques entourant les manifestations, relayent les attaques directes à l’encontre des défenseurs du climat et soutiennent des discours que l’ISD qualifie d’“anti-militantisme climatique”. 

En 2023, l’Osservatorio di Pavia, un centre chargé de la surveillance des médias, a mené avec Greenpeace Italie une étude portant sur la Une des principaux journaux italiens, des journaux télévisés et des pages les plus visitées sur Instagram. Leur enquête dresse un constat similaire : la critique des mouvements climatiques ou des modes de protestation figure parmi les thématiques les plus souvent instrumentalisées afin de ralentir ou gêner la transition écologique. C’est notamment l’angle le plus utilisé dans les journaux télévisés, où 7 % des reportages sur la lutte contre le changement climatique mentionnent des critiques aux militants. 

Au cours de cette dernière année, [le militantisme climatique] a fait son apparition dans les médias, et il est au cœur des tentatives ayant pour but d’influencer le discours public afin de faire obstacle à l’action climatique et à la transition énergétique”, explique Giancarlo Sturloni, directeur de la communication de Greenpeace Italie. 

Exclure les militants climatiques 

Selon Sturloni, étiqueter les militants nourrit l’idée que ces groupes “violents” sont bel et bien des ”ennemis de la société”. 

King partage, elle aussi, ce point de vue. “C’est une stratégie assez évidente consistant à ancrer les mouvements de lutte pour le climat dans un langage ‘éco-extrémiste’ afin de délégitimer leur activité”, résume-t-elle. “L’objectif est très clair : écarter ces types de mouvements et les blâmer pour les éloigner du reste de la société.” 

L’exclusion se trouve au cœur de cette stratégie d’obstruction aux efforts climatiques. Par exemple, les climatosceptiques ou ceux qui tardent à agir utilisent souvent les termes “alarmistes” et “réalistes” pour discréditer les avertissements scientifiques justifiés et associer leurs propres messages à la rationalité et au réalisme. 

En 2020, avec le chercheur Giulio Corsi de l’université de Cambridge, nous avons analysé l’usage de ces deux termes sur Twitter et avons constaté une augmentation de 900 % de leur utilisation au cours des quatre dernières années. C’est notamment entre 2018 et 2019 – durant les discours très médiatisés de Greta Thunberg – qu’une vague de tweets sur l’”alarmisme” et le “réalisme” a été observée. À cette période, le mouvement climatique se trouvait sous les feux des projecteurs médiatiques pour ses grèves, ses protestations et ses manifestations mondiales. 

Notre analyse révèle également que cette façon de procéder, tout comme celle consistant à utiliser un langage extrémiste pour attaquer les militants, profite de la connotation négative de certains termes et alimente la polarisation, créant une mentalité “nous contre eux”. 

Le vocabulaire et les idées maniées pour promouvoir l’exclusion des activistes s’inspirent des valeurs identitaires et de la propagande de la droite, mais aussi de l’idée qu’agir en faveur du climat entraverait la liberté individuelle. 

À l’instar du discours “alarmistes contre réalistes” qui dépeint les militants climatiques et la science du climat comme catastrophistes, l’analyse de l’ISD démontre que certains titres de journaux anglophones ont pu décrire les défenseurs comme des “idiots”, des “fous”, des “tarés” ou des “cinglés”. 

Présenter les militants comme “fous” ou “insensés” fait également écho à une stratégie vieille de dix ans des climatosceptiques. En 1998, l’American Petroleum Institute – association américaine rassemblant les plus grandes compagnies pétrolières – publiait un “plan d’action” visant à exploiter les “incertitudes” de la climatologie. Elaboré par Exxon, Chevron, Southern Company et des représentants d’organisations conservatrices, ce plan stipulait que “la victoire [serait] remportée dès lors que ceux qui soutiennent le protocole de Kyoto fondé sur la science existante [se révéleraient] déconnectés de la réalité”. 

Le discours assimilant celles et ceux qui alertaient sur les conséquences catastrophiques de l’urgence climatique avec des personnes “déconnectées de la réalité” a alors servi à promouvoir l’idée que les défenseurs du climat et les scientifiques n’étaient pas sains d’esprit, qu’ils déliraient et qu’ils ne devaient donc pas être écoutés. 

Un langage moqueur 

Une autre stratégie courante pour attaquer les militants climatiques consiste à utiliser un langage moqueur. Dans les médias allemands, le terme “Klima-Kleber” (“colleurs de climat”) a été utilisé plus de 200 fois par les médias alternatifs comme traditionnels après que les activistes ont commencé à manifester en collant leurs mains aux œuvres dans les musées et les galeries d’art, rapporte l’ISD. Cette expression allemande s’accompagne d’une “perception méprisante et moqueuse” et constitue un “langage émotionnel” qui “augmente le nombre de clics” et “fausse les perceptions”, écrit Sara Bundtzen pour l’ISD. 

La même analyse rapporte un autre cas marquant : celui de la chaîne télévisée en continu BFMTV, qui a cité Andréa Kotarac, membre du Rassemblement national (RN, extrême droite), en qualifiant d’”explosion de crétins” les manifestations pour le climat. 

Avant même l’arrivée de groupes comme Just Stop Oil ou le Soulèvement de la dernière génération, ce genre de langage méprisant était déjà utilisé pour décrédibiliser les militants. De nombreuses attaques ad hominem ont par exemple visé le physique de Greta Thunberg. En Italie, le terme “gretini” – un mélange de Greta et “cretini” (“crétins” en italien) – a d’ailleurs circulé dans les médias pour désigner les activistes de Fridays for Future et d’autres mouvements de jeunes luttant pour le climat. 

Dans d’autres pays également, certains médias sont devenus un espace de propagande contre le mouvement climatique et Greta elle-même. Comme le rapporte le magazine de vulgarisation scientifique américain Scientific American, un rédacteur du droitier magazine britannique Spiked a qualifié Thunberg de “weirdo” (“bizarre”), ajoutant qu’”il y a à la fois quelque chose d’effrayant et d’avangardiste chez Greta”. Dans le même registre, Andrew Bolt, présentateur de Sky News, a écrit une chronique dans laquelle Greta Thunberg était qualifiée de “profondément dérangée”. 

Selon une étude publiée en 2019, les journaux allemands ont usé de termes et d’allusions infantilisantes, notamment “écoliers”, “absents” et “rêveurs”, pour décrédibiliser le groupe Fridays For Future. L’étude souligne également que Greta Thunberg a été tenue pour responsable de l’absentéisme des élèves lors des grèves climatiques. 

Violences et incriminations 

Les discours anti-climatiques se répandent également sur les réseaux sociaux. Selon l’ISD et le réseau Climate Action Against Disinformation (action climatique contre la désinformation), lors de la COP27 qui s’est tenue à Sharm El Sheikh (Egypte) en novembre 2022, des messages contenant des propos injurieux et des appels à la violence envers les militants ont pu circuler sur les réseaux sociaux. 

Les discours se sont intensifiés, il ne s’agit plus seulement de dire ‘ces gens sont stupides et nous ne sommes pas d’accord avec eux’, mais de recourir à des formes beaucoup plus genrées de désinformation ainsi qu’à des propos sexuellement explicites”, affirme King. 

En Italie, une militante âgée de 23 ans membre du Soulèvement de la dernière Génération a été visée en septembre 2023 par des commentaires sexistes diffusés sur les réseaux sociaux, ainsi que dans plusieurs journaux et sur des radios de droite. 

Une fois que l’on déshumanise une partie de la société, qu’il s’agisse d’une minorité ethnique ou, dans le cas présent, d’un mouvement en faveur du climat, il y a beaucoup plus de chances que cela se traduise par des actes de violence”, explique King. “Les abus et le harcèlement sont beaucoup plus ciblés, tout comme les menaces de mort, de viol et toutes les autres choses que l’on voit circuler dans la sphère numérique”, précise-t-il. 

Aujourd’hui, dans de nombreux pays, des militants climatiques sont également inculpés pour leurs actions. Dans sept Etats allemands, des descentes de police ont visé des activistes de la dernière génération dans 15 propriétés différentes. Les gouvernements britannique et italien ont, eux, proposé et adopté des projets de loi visant à limiter et à sanctionner les actions militantes. 

Selon Sturloni, en Italie, la répression des défenseurs du climat reflète aussi le contexte politique actuel du gouvernement d’extrême droite de Giorgia Meloni. “Les médias [italiens] s’intéressent à ce qui intéresse les politiciens, et la politisation de la situation entraîne également l’intérêt des médias”, ajoute-t-il. 

En janvier, en réponse à une manifestation de militants du Soulèvement de la dernière génération à Milan, Matteo Salvini, ministre des Infrastructures et dirigeant de la Lega (extrême droite), s’est exprimé sur le sujet : “Ce ne sont pas des écologistes, ce sont des vandales qui méritent la prison”. 

Ce qui nous préoccupe le plus, c’est l’incrimination [de l’activisme climatique]“, souligne Sturloni. “Dans d’autres mouvements sociaux, nous avons vu des tentatives d’incrimination de groupes plus radicaux, [dans ce cas] dans le but de diviser et d’affaiblir le mouvement climatique”, précise-t-il. 

Ce que montrent la prolifération de ces discours critiques envers le militantisme dans les médias, c’est le pouvoir que ces messages ont sur l’ensemble du débat public et, en fin de compte, sur la perception que se fait l’opinion de ces problématiques.


Cet article fait partie d’une série consacrée au traitement des questions climatiques par les médias européens. Ce projet est organisé par la Fondation verte européenne (Green European Foundation, GEF) avec le soutien du Parlement européen, en collaboration avec Voxeurop et le Green European Journal.