Grande ville à taille humaine, la ville de Grenoble dans les Alpes françaises, occupe depuis les années 1960 une place un peu à part dans le paysage politique municipal français. Dirigée depuis 2014 par une coalition entre écologistes, gauche et collectifs citoyens dont le maire Eric Piolle brigue un second mandat en mars 2020, Grenoble apparaît aujourd’hui comme un « laboratoire » de l’écologie municipale. L’article de Quentin Ariès met en regard les réussites et les limites très concrètes de l’équipe municipale et souligne par-là les difficultés de « l’écologie dans-une-seule-ville » : résistance des autorités nationales à certaines innovations, jeu d’échelle qui déplace les nuisances urbaines vers les communes limitrophes, populations rétives à certaines transformations, ou encore climat d’insécurité hérité de l’histoire urbaine. Mais la dynamique de changement insufflée en 2014 semble assez convaincante pour essaimer ailleurs et forcer les autres forces politiques à s’en inspirer, renforçant le statut pionnier de Grenoble en écologie municipale.

Grenoble, vendredi 22 novembre 2019. 

En plein centre de cette ville de 158 000 habitants, une trentaine de journalistes et militants attendent dans un café une conférence de presse de « Grenoble en commun » à la veille d’une journée de manifestation sur les violences faites aux femmes. 

« Grenoble en commun » c’est le collectif dirigé par Éric Piolle, le maire EELV (Europe Écologie Les Verts) de Grenoble depuis 2014. 

Lors de cette conférence de presse, la seconde depuis qu’Éric Piolle a annoncé qu’il est candidat à sa réélection en mars 2020, on parle d’un centre pour aider les femmes victimes de violences conjugales à porter plainte, donner des sifflets anti-agression, du lien violence envers les femmes et changement climatique. 

Les éléments de langage sont déjà rodés pour le maire et son équipe, les seuls écologistes à diriger une ville française de plus de 100 000 habitants. Il faut dire que les enjeux sont importants : en cas de réélection de Piolle en mars 2020, l’écologie municipale dans une grande ville française n’apparaitra plus une utopie.  

Cet ancien ingénieur, soutenu par presque toutes les chapelles de la gauche française, souhaite construire « un arc humaniste », regroupant les formations progressistes et écologistes françaises, dans l’espoir de ne pas étouffer la vie politique française sur une confrontation entre le Président libéral Emmanuel Macron et l’extrême droite de Marine Le Pen. 

Une stratégie qui plaît. Monique qui travaille dans le secteur culturel est plus qu’enjouée à cette conférence de presse. « Je le suis depuis son élection. Maintenant on respire ! Je suis plus heureuse dans ma ville ! » 

Terreau fertile 

Surnommée « la cuvette » car coincée entre trois massifs alpins, Grenoble est un repère écolo depuis 30 ans. Le tissu associatif est dense, les écologistes sont une force politique au niveau local dès le scrutin municipal de 1988 et a gouverné un temps la ville avec les socialistes quand la gauche est revenue aux affaires en 1995. 

Depuis les années 1980, la ville s’est illustrée pour son côté novateur en matière d’environnement. La ville a souvent été citée en exemple pour d’autres villes françaises et européennes pour le retour du tramway dans l’espace public, sur son service de location de vélo Métrovélo, sur son éco quartier la Caserne de Bonne en 2010. On ne compte plus les reportages médias nationaux et internationaux sur la ville, ainsi que les visites d’élus locaux pour voir comment répliquer l’expérience grenobloise. 

L’année 2010, c’est aussi la première fois que le nom d’Éric Piolle apparaît sur un bulletin de vote (il devient conseiller régional). « Catho de gauche » revendiqué, père de quatre enfants, il a fait ses études d’ingénieur dans la capitale des Alpes et y a posé ses valises. 

L’année suivante, en 2011, alors cadre dans l’antenne du groupe informatique Hewlett-Packard dans la région, il est licencié par cette entreprise américaine pour avoir refusé de mettre en œuvre un plan de délocalisation. Son profil de bon père de famille plaît aux militants, aux cadres du parti et au monde associatif. Si son discours sur la nécessaire radicalité écologique et progressiste est bel et bien présent, son image reste celle d’un homme en costume (mais sans cravate), cycliste du quotidien.  

Depuis les années 1980, la ville s’est illustrée pour son côté novateur en matière d’environnement. La ville a souvent été citée en exemple pour d’autres villes françaises et européennes pour le retour du tramway dans l’espace public, sur son service de location de vélo Métrovélo, sur son éco quartier la Caserne de Bonne en 2010. 

Devenu candidat pour les municipales de 2014 … ses promesses (en grande partie), étaient de passer à la vitesse supérieure pour la transition écologique. En six ans les changements sont visibles. 

Depuis, la ville a fait les gros titres sur ces annonces écologiques et progressistes. On peut citer  le non-renouvellement des contrats pour plus de 300 panneaux publicitaires dans l’espace public, réduction de la vitesse des principaux axes routiers de la ville de 50 à 30km/heure, réorganisation du centre-ville, créer la plus grande zone à faibles émissions et limiter les véhicules diesels, quadriller la ville de pistes cyclables (les « chronos vélos »), planter 15 000 arbres dans la ville d’ici 2030, ouvrir la première ferme urbaine 100% agriculture biologique de France, créer une option végétarienne dans les cantines municipales (qui en plus proposent de plus en plus de produits issus de l’agriculture biologique), etc. 

2022 c’est aussi l’année où 100% de l’électricité des grenoblois devrait être issue des renouvelables. 

L’écologie de la sobriété 

Mais là où son bilan se détache des socialistes est sur le volet éthique et démocratique. Dès arrivés au pouvoir, les nouveaux élus municipaux optent pour une sobriété budgétaire sur leurs indemnités et trains de vie des élus. 

Une fois élue en 2014, la liste d’Éric Piolle réduit les indemnités de mandats des nouveaux élus (entre 9 et 23% selon leurs rôles et responsabilités). Leur parc automobile dédié est presque intégralement remplacé par des vélos de fonction, les frais de bouche des élus et de leurs invités ont été sabrés de 78%. 

Mais l’opposition de droite et les socialistes contestent en partie cette sobriété, notamment sur la nouvelle politique de subvention de la ville. Une politique qui a réduit les subsides dans les projets économique (qui sont bien souvent des partenariats publics-privés).  En décembre 2017 par exemple, la ville de Grenoble vendait près de 3,4 millions d’euros d’action à la région Auvergne-Rhône-Alpes du projet Minatec, une société mixte regroupant les acteurs des nanotechnologies sur le territoire grenoblois. 

“Il y’a une vraie discussion à avoir sur le dynamisme, l’attractivité et les enjeux de la transition écologique,” selon Simon Perisco, chercheur en science politique à Sciences Po Grenoble. “La Silicon Valley ne peut répondre en l’état aux exigences de la transition écologique” continue-t-il. 

Du côté de la municipalité, on estime que les compétences économiques de la métropole (voir ci-dessous) sont suffisantes pour porter de tels projets. Ses détracteurs rétorquent que cette sobriété budgétaire ou limiter les grands projets (nouveaux stades, etc.) nuisent à l’attractivité de la ville pour des investisseurs nationaux et étrangers.  

“Il y’a une vraie discussion à avoir sur le dynamisme, l’attractivité et les enjeux de la transition écologique,” selon Simon Perisco, chercheur en science politique à Sciences Po Grenoble. “La Silicon Valley ne peut répondre en l’état aux exigences de la transition écologique” continue-t-il. 

Pour le chercheur, « c’est normal pour un écologiste de ne pas faire campagne sur de grands projets. Ce n’est pas sa vocation. Ce qu’il souhaite c’est gérer l’existant et être économe. » 

Gérer l’existant à Grenoble, c’est déjà beaucoup. Les infrastructures ne manquent pas et ont eu tendance à se multiplier l’organisation des jeux olympiques d’hiver en 1968. De plus, les écologistes étaient au cœur de la mobilisation contre la construction du stade des Alpes, une infrastructure de 20,000 places érigée en 2008 en plein milieu du Parc Paul Mistral, un des rares lieu de verdure en plein centre-ville. 

À la place, la mairie écologiste préfère mettre la candidature de la ville pour devenir en 2022, la capitale verte européenne, un label de la Commission européenne qui récompense les villes à la pointe de l’adaptation au changement climatique.  

Autre point mis en valeur : Le dispositif de budget participatif. Depuis 2016, près de 4 millions d’euros ont été distribués à des projets pour la promotion de la biodiversité en ville et l’agriculture urbaine (vergers, zones humides, aires de composts, nichoirs à hirondelles, mésanges, chauves-souris). Des projets proposés et portés par des citoyens et associations grenobloises. 

Changement de modèle 

Une politique qui semble fonctionner. En 2018, près de 15% des déplacements dans la ville s’effectuaient à vélo, une augmentation de 32% en six ans selon l’INSEE (Institut national des statistiques et études économiques). Une nouvelle piste cyclable ouverte en novembre en 2019 a enregistré en à peine 13 jours près de 30,000 cyclistes ! La fréquentation des transports communs a aussi bondi depuis 2014 de 14%. 

Cependant, selon étude de septembre 2019 d’ATMO Auvergne-Rhône-Alpes (une association agréée de surveillance de la qualité de l’air), le nouveau plan de circulation n’a pas amélioré la qualité de l’air. Il a plus décalé la pollution vers d’autres zones de l’agglomération. Un reality check qui rappelle que même pour une mairie dirigée par un écologiste, les bienfaits de la transition écologique peinent souvent à se synchroniser avec des échéances électorales et le court-terme.  

Autre point difficile : le social et la gestion des services municipaux. Si la municipalité indique qu’en cinq ans près de 2157 logements sociaux ont été construits ou sont sur le point de l’être, l’équipe sortante a subi un conflit social avec certains agents pour la réorganisation des bibliothèques municipales (qui sont maintenant certes gratuites). 

De plus, certains acteurs culturels estiment qu’ils ont perdu au change, car une fois arrivée la municipalité a mis en place un plan d’économies de 14 millions d’euros. 

La majorité écologiste n’a pas réussi à enrayer l’image “double face” de Grenoble qui lui colle à la peau depuis plus de deux décennies. D’un côté, une ville innovante, solidaire et à la pointe du changement climatique … mais aussi une ville à la proie des guerres des mafias et des gangs.

Autre point noir : en mai 2018, le tribunal administratif de Grenoble, sur demande la préfecture de l’Isère, a demandé l’annulation du dispositif des votations citoyennes. Le tribunal estimant que les contours du dispositif qui permettait à 2,000 grenoblois de proposer des débats au Conseil municipal ne respectaient pas la constitution française (il était ouvert à des résidents hors des listes électorales, comme les mineurs de 16 à 18 ans).  

D’autres mesures phares de Piolle ont aussi tardé comme la remunicipalisation de certains services publics et autres services comme mettre fin aux délégations de service public des parkings de la ville.  

Et si Grenoble est toujours perçue comme une ville à la pointe de la lutte contre le changement climatique, elle fait aussi les unes à tort ou à raison sur l’insécurité. En 2010, un braquage d’un casino avait terminé sur une course poursuite et des jours d’émeutes dans les quartiers populaires de la ville. 

Par exemple en 2018, les agressions contre des personnes avaient augmenté de 53% par rapport à 2017 selon France 3. Eric Piolle était lui-même monté au créneau indiquant la situation était grave.  

Mais si entre 2018 et 2020, l’État français a proposé près d’une soixantaine de policiers supplémentaires, la majorité écologiste n’a pas réussi à enrayer l’image “double face” de Grenoble qui lui colle à la peau depuis plus de deux décennies. D’un côté, une ville innovante, solidaire et à la pointe du changement climatique … mais aussi une ville à la proie des guerres des mafias et des gangs (la ville a souvent été une plaque tournante de la drogue en France et d’autres activités illicites en provenance, entre autres de par sa position de point d’entrée proche de l’Italie).  

Objectif 2020 

L’objectif principal selon ses soutiens est de conserver Grenoble. Ils ont le vent en poupe. En octobre, l’institut Odoxa donnait 32% d’intentions de vote pour Éric Piolle. Son concurrent principal est l’ancien maire de droite de Grenoble (1983-1995) et ancien ministre Alain Carrignon. Ce dernier, malgré avoir été condamné à de la prison ferme à la fin des années de 1990 pour corruption, abus de biens sociaux est arrivé second avec 20% des intentions de vote. 

“Le retour d’Alain Carrignon est idéal pour Piolle. Il ne pouvait pas rêver mieux” pour Simon Perisco. L’édile de droite et ses militants font campagne depuis des années contre la majorité écologiste, quitte à qualifier l’actuel maire de « Grand Timonier » et de publier sur un blog des articles caricaturaux sur la propreté, l’insécurité de la ville. Eric Piolle a d’ailleurs porté plainte contre ce blog pour diffamation début janvier 2019. 

La candidate La République en Marche et députée Émilie Chalas complétait le podium avec 18% d’intentions de vote. 

D’autant plus que pour éviter le cumul des fonctions, Éric Piolle et ses adjoints à la ville ne sont pas dans l’exécutif de la métropole. Une écologie municipale réussie demande des relais pour être jugée crédible. 

Cependant si le bilan d’Éric Piolle apparaît comme globalement satisfaisant, lui et son équipe ont dû avaler plusieurs couleuvres et renoncements. En effet, depuis 2015, énormément de compétences municipales (mobilité, gestion des déchets, urbanisme) ont été transférées à Grenoble-Alpes Métropole, qui regroupe Grenoble et 48 autres communes. 

Les écologistes font partie de l’équipe de direction cette métropole de 443 000 habitants (ils ont récupéré les portefeuilles des finances, des transports …). Mais les négociations avec les socialistes ou autres élus locaux ont été très difficiles les premières années.  

D’autant plus que pour éviter le cumul des fonctions, Éric Piolle et ses adjoints à la ville ne sont pas dans l’exécutif de la métropole. Une écologie municipale réussie demande des relais pour être jugée crédible.  

Les écologistes par exemple se sont retrouvées en minorité sur l’élargissement d’une autoroute qui longe Grenoble à l’ouest. 

Un des enjeux de 2020 sera, si Éric Piolle est réélu, de chercher une majorité plus favorable à son programme à l’échelle métropolitaine. 

Le modèle ? 

Depuis qu’Éric Piolle a annoncé fin septembre qu’il briguait un nouveau mandat, les soutiens s’accumulent. 

Sa liste est soutenue, comme en 2014, par EELV la France Insoumise et plusieurs collectifs citoyens. Mais aussi par le parti communiste, Générations (le parti de l’ancien candidat à la présidentielle Benoît Hamon), Place publique (le mouvement de l’eurodéputé Raphaël Glucksmann), Nouvelle donne, plusieurs associations et mouvements locaux et certains militants socialistes. 

Un rassemblement qui devrait combler les relatifs échecs électoraux de la majorité d’Éric Piolle depuis 2014. Les différents partis de la majorité sont encore la première force politique de la ville, mais les victoires électorales depuis six ans restent maigres. Par exemple lors des élections législatives de 2017, les écologistes et France Insoumise, partis séparément, n’ont pas réussi à endiguer la dynamique de l’élection présidentielle. Les deux députés représentant la ville sont issus du parti d’Emmanuel Macron. 

Partir grouper dès le premier tour devrait donc éviter les mauvaises surprises. « À Grenoble, la guerre des gauches est derrière nous », scande Éric Piolle à l’envi (même si le Parti socialiste a investi Olivier Noblecourt, le délégué interministériel d’Emmanuel Macron en charge de la lutte contre la pauvreté). 

Cependant la méthode Piolle fait rêver les écologistes qui rêvent de gagner les grandes villes de Besançon, Montpellier, Toulouse, Rennes ou encore Nantes. 

Dans la grande majorité de ces villes, EELV fait le pari de s’associer avec des listes citoyennes et quand c’est possible, avec d’autres formations de gauche. Reste à savoir d’autres profils comme Piolle pourront émerger d’ici les 3 prochains mois.