A quelques semaines du premier tour de l’élection présidentielle française, force est de constater que la campagne a jusqu’à présent été beaucoup monopolisée par des questions identitaires et sécuritaires, autour de la figure du polémiste d’extrême droite Eric Zemmour. Alors qu’émerge enfin le thème du pouvoir d’achat, sur fond d’inflation galopante des prix de l’énergie et des matières premières, nous avons voulu faire le point sur la question sociale et la façon dont elle est abordée dans la campagne présidentielle française, avec Laurent Berger, Secrétaire général de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) et Président de la Confédération européenne des syndicats (CES).

Benjamin Joyeux: Avant la pandémie, le quinquennat qui s’achève a tout de même été marqué par nombre de sujets ayant trait à la question sociale : mouvement des Gilets Jaunes, mobilisation pour les retraites, etc. Aujourd’hui, en tant que responsable syndical, comment trouvez-vous que la question sociale est abordée lors de cette campagne présidentielle?

Laurent Berger: J’ai tout d’abord un préalable : la question sociale ne se limite pas à la montée de tensions comme celle des Gilets Jaunes ou au sujet des retraites. La question sociale, c’est une réalité ancrée tous les jours dans la vie de millions de travailleuses et travailleurs. Elle devrait donc être en permanence au cœur du débat démocratique et donc au centre de la campagne présidentielle.

Jusqu’en décembre 2021, on a subi une sorte de vague sur la question identitaire, notamment due à la montée d’un des candidats d’extrême droite. La question sociale n’était alors ni audible, ni même traitée. Je crois que c’est différent depuis janvier, car on a réussi à imposer un sujet, celui du partage de la valeur créée et donc des salaires et du pouvoir d’achat. Ce sujet est maintenant bien installé dans la campagne. « Est-il bien traité ? », c’est une autre question. A la CFDT, nous continuons de nous battre pour distiller d’autres sujets dans la campagne : avec le Pacte du Pouvoir de Vivre, alliance de 66 organisations, on a rencontré quasiment tous les candidat.es sauf ceux d’extrême droite. Nous essayons d’aborder les questions d’inégalités sociales, les questions de logement, les questions de salaires et de travail… Si elle n’est pas très bien traitée, souvent de façon simpliste, la question sociale commence néanmoins à émerger. De toute façon les candidat.es n’auront pas le choix. Ce qui me frappe est que quasiment tous les candidat.es ont utilisé le terme de « pouvoir de vivre ». Je ne parle bien entendu pas de ceux d’extrême droite puisque je les combats sur le terrain des valeurs. Ça signifie tout de même que l’on a marqué le terrain. Mais il est vrai que l’on ne va pas assez au fond des choses sur la question des inégalités, sur leurs racines, sur la question de la répartition des richesses, etc.

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Vous ne trouvez pas que sur la question sociale, la candidate d’extrême droite Marine Le Pen par exemple fait mine de s’y intéresser alors que l’on entend pas suffisamment les candidat.e.s de gauche et écologistes sur le sujet?

Si vous regardez les programmes, ce n’est pas vrai de dire que la question sociale n’y est pas présente. Qu’ils n’arrivent pas à la rendre visible ou audible, c’est une chose, mais j’ai regardé l’ensemble des programmes et la question sociale y est très présente. Ce serait donc injuste de dire que les candidat.es de gauche et écologistes ne la traiteraient pas ou pas assez. Après, que le Rassemblement National se saisisse de la question sociale, ce n’est pas nouveau. Dans un choix démocratique à opérer, il faut y aller par graduation. La première des graduations à opérer est de savoir si l’idée qu’on se fait d’une société, l’idée qu’on se fait d’une démocratie, l’idée qu’on se fait des valeurs républicaines lorsque l’on est dans une organisation syndicale comme la CFDT, sont compatibles avec les valeurs de celles et ceux qui sont candidat.es. Pour l’extrême droite, la réponse est clairement non. Ensuite, cette graduation amène à regarder les principes liés à l’organisation de la société : les méthodes de gouvernance, l’exercice du pouvoir, etc. Et la graduation aboutit enfin aux propositions concrètes. L’extrême droite proposerait d’augmenter les salaires de 50 pour cent, la retraite à 55 ans ou encore de réduire le temps de travail à 28 heures hebdomadaires, j’y serais tout de même opposé, parce que c’est l’extrême droite. Parce qu’il y a une graduation et qu’en premier lieu c’est la question des valeurs et de la démocratie qui compte.

Je crois que les candidat.es qui sont du camp républicain doivent vraiment se saisir des questions sociales. Je ne voudrais pas un pouvoir comme en Pologne, où le gouvernement actuel est plutôt actif sur les questions sociales. Mais c’est un gouvernement qui pratique la discrimination sur les questions LGBT, qui est d’extrême droite sur la question des valeurs. La question sociale est donc fondamentale, mais un syndicaliste ne s’y résume pas, la vision qu’il a de la démocratie étant également fondamentale.

Le sujet social commence donc à s’installer, et les candidat.es en lice actuellement doivent le mettre davantage en avant. Autant jusqu’en décembre dernier, j’étais extrêmement critique en considérant que seule la question identitaire existait, autant depuis je trouve que la question sociale progresse dans le débat. Mais c’est vrai qu’elle n’est pas souvent très audible ni bien traitée, au sens de vraiment aller au fond des choses, dans la complexité des sujets. Ça progresse néanmoins.

On voit émerger la question sociale depuis peu autour de la question du pouvoir d’achat à cause de l’inflation actuelle. Qu’est-ce que vous pensez que les candidat.es devraient porter sur le sujet, notamment pour les classes populaires?

Le sujet salaire et pouvoir d’achat émerge autour de trois phénomènes : il y a en effet l’inflation, avec une vraie difficulté aujourd’hui de vivre correctement pour tous les ménages modestes. Le deuxième élément est que l’on a réussi d’une certaine façon, et c’est une belle victoire, à rendre visibles plein de travailleuses et travailleurs qui ne l’étaient pas jusqu’alors. C’est un peu l’effet « Covid et confinement ». On a enfin pris conscience dans la société qu’il y avait des gens qui n’étaient pas suffisamment payés ni traités alors qu’ils sont indispensables. La CFDT a contribué à les mettre en exergue. Il s’agit d’un mouvement qui ne va pas s’arrêter de sitôt. Le troisième élément est que les entreprises ont été très aidées pendant cette période, ayant réalisé de gros bénéfices pour beaucoup d’entre elles. Les travailleuses et travailleurs considèrent donc à présent qu’il y a un vrai problème structurel dans la répartition de la valeur créée. C’est au regard de ces trois phénomènes que la question du pouvoir d’achat et des salaires a émergé dans cette campagne et c’est une bonne chose. Il faut la traiter à tous les niveaux, et bien évidemment dans le débat présidentiel. La démagogie consistant à dire qu’on va augmenter d’un coup de 10 à 15 pour cent l’ensemble des salaires ne fonctionne pas. On sait très bien que les candidat.es à la présidentielle doivent faire des promesses qu’ils sont en capacité de tenir, pour lesquelles ils ont les manettes. Sur l’augmentation des salaires pour un certain nombre de travailleuses et travailleurs, ils n’en ont pas. Ils ont le SMIC par exemple, mais ça ne constitue pas une politique salariale en tant que telle, et ils ont les aides versées aux entreprises. Je crois que les candidat.es doivent dire comment ils vont faire en termes de salaires pour conditionner les aides publiques versées aux entreprises à une vraie répartition de la richesse. Est-ce qu’ils vont prendre des mesures pour avoir des échelles de salaire dans les entreprises par exemple, pour contraindre les branches professionnelles à avoir des minima qui soient au-dessus du SMIC, etc. Ce n’est pas tout le sujet du pouvoir d’achat. Il y a aussi la question du logement, celle de la consommation, de l’énergie, etc. Mais oui, le débat a vraiment émergé. Il n’est en effet pas bien traité car on donne beaucoup de chiffres alors qu’il faudrait un changement structurel dans la répartition des richesses et dans le soutien à fournir à l’économie, avec des contreparties exigées des entreprises. Mais au moins tout cela nous permet d’installer le débat.

Qu’il faudrait un changement structurel dans la répartition des richesses et dans le soutien à fournir à l’économie, avec des contreparties exigées des entreprises.

En l’occurrence, il s’agit surtout de la question des inégalités. Emmanuel Macron a été qualifié par son prédécesseur François Hollande de « Président des très riches ». On voit actuellement d’un côté les profits des grandes entreprises françaises du CAC 40 qui explosent et de l’autre des salarié.es qui ne voient toujours pas venir l’augmentation de leur pouvoir d’achat, avec des dépenses contraintes de plus en plus importantes. Quelles sont vos propositions sur cette question structurante des inégalités?

Avec le Pacte du Pouvoir de vivre, on a fait 90 propositions, y compris dans le cadre de la transition écologique, pour permettre de réduire les inégalités. Le bilan Macron, c’est qu’il y a eu une première partie du quinquennat avec une politique fiscale qui a contribué à enrichir les plus riches et à ne pas résoudre les problèmes des plus en difficulté. Donc une politique ayant fait croître les inégalités. Après, il y a eu la période Covid, avec des politiques faites pour maintenir l’emploi, les salaires, etc. On s’aperçoit à l’issue de ce quinquennat que ce sont les plus pauvres qui ont le plus souffert. En gros, ça dépend des chiffres, mais le taux de pauvreté n’a pas augmenté. Ce qui a augmenté, c’est la très grande pauvreté. Le chômage a baissé. En fait le bilan n’est pas tout négatif, ce serait trop facile de dire cela ainsi. Mais il n’a pas permis de réduire les inégalités, parce qu’il faudrait tout simplement des politiques très ciblées vers celles et ceux qui en ont le plus besoin. Ainsi nos propositions à la CFDT, c’est d’abord un relèvement des minimas sociaux qui n’a pas été fait pendant ce quinquennat. Nous voulons également la garantie jeunes universelle avec le contrat d’engagement jeune dont il faut envisager le déploiement, une obligation des branches sur la question salariale, et des aides ciblées, en termes d’énergie, d’accompagnement à la transition écologique en direction des ménages les plus modestes. Nous souhaitons également une rénovation thermique des logements à coût zéro pour les ménages les plus modestes. On a ainsi 90 propositions, dont des propositions écologiques.

On s’aperçoit tout de même que malgré la « passion » française pour l’égalité, deuxième vocable du triptyque républicain, et malgré un échec, certes relatif, d’Emmanuel Macron sur le sujet, on s’aperçoit qu’il ne baisse pas dans les sondages et les intentions de vote. Un.e candidat.e de gauche pourrait percer dans l’opinion sur cette question spécifique mais ça n’arrive pas. Comment vous l’expliquez?

D’abord les sondages ne font pas l’élection, mais je pense qu’il y a surtout eu un effet Covid. On peut raconter tout ce que l’on veut, mais pendant la pandémie, on a vécu une période que Christophe Robert appelle la « parenthèse dorée ». On a alors beaucoup soutenu l’économie mais également les ménages. C’est même le moment où l’on n’a pu montrer dans notre pays que l’on pouvait faire en sorte qu’il n’y ait plus de personnes qui dorment sous les ponts ou dans les bouches de métro. Je rappelle que pendant la toute première période de confinement, il y a eu des mises à l’abri et des hébergements trouvés pour les personnes à la rue. On a pu alors faire la démonstration que nous étions capables de beaucoup plus de solidarité. Il y a des effets bénéfiques de cette période pour le pouvoir. Mais tout cela n’aurait pas été possible sans les associations, les organisations syndicales, etc. Nous avons beaucoup alerté, travaillé et fait des propositions pendant cette période. Je ne sais pas l’expliquer plus que cela. Peut-être faut-il se dire que ce n’est plus tant les mots que la prise en compte du réel et la capacité d’avoir des relais qui feront que des partis de gauche, ou d’ailleurs, pourront se consolider. Je constate que ce n’est pas en criant « égalité » tous les matins qu’on obtient le soutien des citoyennes et citoyens.

D’abord les sondages ne font pas l’élection.

Vous mettriez donc le « quoi qu’il en coûte » d’Emmanuel Macron au crédit de sa politique sociale ? Et qu’en est-il de sa réforme des retraites, avortée pour l’instant?

En tous cas, je peux vous dire en tant que président de la Confédération européenne des syndicats, que si on compare avec nos partenaires européens, comme en République tchèque par exemple, ils ont mis en œuvre pour la première fois le chômage partiel pendant le confinement, et ça correspondait à 30 pour centdu salaire net. Evidemment qu’en France on avait les moyens de faire beaucoup plus, mais on a fait beaucoup plus. Donc oui c’est à mettre au crédit du pouvoir mais aussi des acteurs économiques et sociaux. La gestion sociale et économique de la crise Covid (je ne vous parle pas du sanitaire qui n’est pas du domaine de mes compétences) compte et a été bénéfique. Est-ce que ça veut dire qu’il y a eu des politiques structurelles de réduction des inégalités ? La réponse est non. Mais la perception des citoyens, elle est aussi en fonction du réel immédiat.

De 2017 à 2019, il y a eu clairement des politiques fiscales qui ont bénéficié aux plus riches. Quand vous regardez par exemple des rapports de France Stratégie sur la première moitié du quinquennat, le revenu moyen des 10 pour cent les plus riches a augmenté de 17 pour cent contre 3 pour cent pour les plus pauvres, c’est-à-dire que les inégalités se sont accrues. Ce qui se serait passé sans le Covid, je ne sais pas.

Pour la réforme des retraites, la réforme systémique que nous portions à la CFDT était bénéfique à celles et ceux que l’on appelle les « travailleurs de deuxième ligne » aujourd’hui. La retraite de la caissière d’une grande surface ou celle de la personne qui travaille dans l’agroalimentaire ne sont pas justes au regard de leur implication dans le système collectif de retraites. On n’a pas encore le fin mot de l’histoire, mais c’est bien dans le système actuel inchangé des retraites que résident de profondes inégalités dans notre pays. Les femmes ont aujourd’hui en moyenne 30 pour cent de retraite en moins que les hommes. Celles et ceux qui ont commencé à travailler tôt, ils ont peut-être les carrières longues, mais n’ont pas de dispositif qui leur fait rattraper leur durée de cotisation supérieure à d’autres. C’est tout ça qu’on voulait mettre à plat. Je ne sais pas ce qu’aurait donné la réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron, mais le Covid étant arrivé en mars 2020 et jusqu’à aujourd’hui, on s’est retrouvé dans une situation exceptionnelle ayant rebattu les cartes. Notre boulot maintenant, c’est de faire que la solidarité qui a pu exister au printemps 2020 perdure.

Un autre sujet très important est celui de la transition écologique. Avant le confinement, la révolte des Gilets Jaunes qui a émaillé toute l’année 2019, est partie de la volonté de mettre en place une taxe carbone…

Oui ce n’est pas faute d’avoir alerté avant. La taxe carbone, à laquelle il faudra bien arriver si on veut réussir à mettre en œuvre la transition écologique et aller vers un changement radical de notre modèle de production, de nos usages, de nos moyens de déplacement, etc., elle ne peut pas se faire sur le dos des plus fragiles et des plus pauvres. Si une partie de cette taxe n’est pas redistribuée pour que les gens fassent évoluer leurs usages, leurs déplacements, leur logement, etc., on n’y arrivera jamais. C’est ça que nous a montré la crise des Gilets Jaunes ! On a voulu faire croire que s’opposaient fin du monde et fin du mois. Or ça ne s’oppose pas mais au contraire ça se travaille ensemble. Je crois qu’on n’est pas allé assez loin dans la transition écologique durant ce quinquennat et qu’on doit aller bien plus loin avec des actions plus fortes. Ça nécessitera une fiscalité écologique, mais qui ne doit pas pénaliser les plus fragiles. Les ménages les plus modestes ne sont pas moins écolos que les autres, mais quand leurs échéances sont de plus en plus difficiles à honorer de mois en mois, ils pensent d’abord à cela. C’est bien pour cela que l’on a créé ce pacte du Pouvoir de vivre pendant la crise des Gilets Jaunes, pour montrer qu’on peut et qu’on doit concilier transition écologique et justice sociale. Mais pour cela, il faut amoindrir les exigences liées à la question écologique pour les ménages les plus modestes.

On porte par exemple avec la CES l’idée d’une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne. Après on fait des propositions avec la CFDT et le Pacte du pouvoir de vivre sur l’alignement de la fiscalité du travail et du capital. C’est très en lien avec le sujet des inégalités et de la juste répartition des richesses dans l’entreprise. On propose d’abonder un fonds de financement de la transition écologique par une taxe exceptionnelle et progressive sur le patrimoine financier. Nous prônons également une imposition rénovée sur les grandes fortunes, sur la succession, et une fiscalité carbone ambitieuse. L’idée, c’est de reverser l’ensemble des recettes aux ménages modestes. Les 10 pour cent des ménages les plus pauvres payent proportionnellement à leurs revenus 2,6 fois plus de taxe carbone que les 10 pour cent de ménages les plus riches. Il faut donc une taxe carbone pour tenir les accords de Paris, mais on doit calibrer la redistribution pour les ménages modestes pour contrebalancer l’effet négatif qu’ils subissent.

Quelles sont vos principales priorités et interpellations auprès des différents candidates?

Avec le Pacte du pouvoir de vivre, on interpelle les différents candidat.es sur deux points : le premier point concerne les propositions faites en matière écologique et de réduction de inégalités. Et le deuxième aspect porte sur la façon dont les différent.es impétrant.es comptent exercer le pouvoir, la vision et les propositions qu’ils portent concernant la démocratie, en alliant les trois éléments que sont la démocratie représentative, c’est-à-dire l’élection, le suffrage universel, avec la volonté de participation citoyenne de plus en plus grande, en n’oubliant pas la démocratie sociale et la place de la société civile. A la CFDT, on va recevoir les différent.es candidat.es le 10 mars prochain. On a déjà rencontré, à leur demande, nombre d’entre eux. On les interpelle sur le travail, sur la répartition des richesses et la gouvernance dans l’entreprise, sur les services publics, sur l’avenir de la protection sociale… tout un tas de thèmes. Ce que nous tentons de faire est de montrer qu’on peut construire un autre modèle de société. Parfois la gauche se perd avec un catalogue de mesures. Ce qu’il faut faire, c’est montrer un modèle, un horizon, une vision. Une vision d’une société qui fasse le choix de la transition écologique, qui mette beaucoup de moyens dans la réduction des inégalités, qui soit beaucoup plus démocratique et qui intègre la complexité de la société en impliquant correctement les corps intermédiaires, une société ouverte, qui cultive le vivre ensemble plutôt que le repli sur soi. Il y a trop de temps passé à essayer de décliner les mesures. Il faut commencer par donner envie. Je suis persuadé qu’un très grand nombre de citoyennes et citoyens veulent une société plus apaisée, plus ouverte et qui s’inscrive dans les grands défis de demain. On ne pourra pas continuer comme ça ni sur la question écologique, ni sur la question des inégalités.

Mais cette vision, à votre avis, elle est absente, ou elle est surtout inaudible ?

En tous cas elle est inaudible, donc cela signifie qu’elle n’est pas suffisamment présente. Mais le problème également, c’est que lors des interviews, si vous êtes d’abord interrogé sur la désunion et les petites guéguerres, vous avez déjà perdu l’essentiel du message et disposez de beaucoup moins de temps pour traiter du reste. On manque d’un projet de théorisation d’une société qui donnerait envie, ou en tous cas les citoyen.nes ne le voient pas.

Est-ce que l’ère des réseaux sociaux et des chaînes d’info continue qui réclament le clash et le buzz permanent ne joue pas non plus à plein sur la possibilité de développer une vision lors de cette campagne?

Si totalement ! Aujourd’hui nous avons une démocratie empêchée par le registre du court terme et la réaction immédiate. Puis on a un débat démocratique qui n’est que du clash et de la disqualification de son interlocuteur. On renonce à la complexité. Or la démocratie ce n’est pas ça ! Nombre de sujets que l’on vient d’évoquer sont complexes et non binaires. Ils nécessitent du débat et de la confrontation. On a perdu cela. Si la confrontation consiste simplement à se balancer de grands « coups de latte » sur les réseaux sociaux, on ne va pas aller très loin. On souffre de ça. On a de nombreux candidat.es qui, quel que soit leur bord, ont des propositions qui mériteraient d’être écoutées et débattues sereinement. Le débat n’est pas seulement au niveau des enjeux, il est sur la forme également.

Aujourd’hui nous avons une démocratie empêchée par le registre du court terme et la réaction immédiate

Sur la question institutionnelle, par rapport à l’hyper concentration du pouvoir présidentiel français, qui joue également à plein dans la personnalisation de cette campagne, est-ce que vous avez des revendications précises?

La seule revendication précise que nous avons sur la question purement institutionnelle, c’est d’avoir enfin un scrutin proportionnel pour les élections législatives. Nous avons surtout des propositions sur la question démocratique. On pense qu’il faut renforcer la société civile organisée dans l’élaboration des politiques publiques, ce qui n’a pas été fait pendant ce quinquennat. Il faut également renforcer l’engagement, faire fonctionner des processus participatifs et délibératifs. Ce qui est certain, c’est qu’il faut qu’on sorte de cette idée que la démocratie, ce sont des élu.es qui obtiennent le suffrage universel une fois tous les cinq ans d’un côté et le peuple de l’autre côté. La démocratie, c’est beaucoup plus complexe, beaucoup plus épais que ça d’une certaine manière.