L’élection présidentielle française est prévue les 10 et 24 avril 2022. Yannick Jadot est le candidat des écologistes. Mélanie Vogel, sénatrice des Français de l’étranger depuis septembre 2021, fait partie de l’équipe de ses porte-paroles. Féministe, lesbienne, elle est aussi une des plus jeunes parlementaires françaises. Dans le contexte d’une gauche affaiblie, de la montée de l’extrême-droite et de la présidence française de l’Union Européenne, elle nous raconte la vision des écologistes pour cette campagne présidentielle.

Green European Journal: La primaire des écologistes a désigné Yannick Jadot comme candidat à l’élection présidentielle : comme s’est déroulé ce processus ?

Mélanie Vogel: La primaire des écologistes a été organisée par le « pôle écologiste », un rassemblement de plusieurs partis écologistes français. La primaire s’est donc construite autour d’un projet commun et d’une ambition commune: donner aux françaises et aux français un bulletin écologiste qui rassemble toute la famille écologiste pour l’élection présidentielle.

Alors que le début de la campagne a été fortement occupé par les discussions autour d’une possible candidature commune de toute la gauche, notre constat commun, au sein du « pôle écologiste” était qu’il ne pouvait pas ne pas y avoir de bulletin écologiste à l’élection présidentielle 2022, ça aurait été totalement anachronique.

Il y a de plus en plus de jeunes qui déclarent subir ce qu’on appelle de l’éco-anxiété. Et l’’éco-anxiété, ce n’est pas seulement être anxieux à cause de la crise climatique, c’est une combinaison entre ça et le fait de voir que les politiques ne cherchent pas à la résoudre, comme dans le film Don’t look up. 

Le mandat de la primaire, c’est donc de construire une campagne positive qui apporte des solutions et permette d’offrir une voie à toutes celles et ceux qui ne veulent ni de l’extrême droite, ni du statu quo macroniste et productiviste. Ce qu’on porte collectivement, c’est montrer comment l’écologie peut être le grand projet rassembleur en France, qui redonne de l’espoir.

C’est donc autour de ce constat commun et d’un projet commun que s’est organisée cette primaire, ouverte aux membres des partis du « pôle écologiste » ainsi qu’a toute personne partageant notre projet et souhaitant y participer, moyennant le paiement de 2 euros. Au total, c’est presque 123000 personnes qui ont voté. La base programmatique commune de la primaire a ensuite été enrichie par les propositions de Yannick Jadot et des différents candidats, ainsi que par un travail très riche d’auditions après que notre candidat ait été désigné.

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Yannick Jadot parle d’enthousiasme, mais aussi d’une nécessaire dramatisation des enjeux pour que les gens prennent conscience de l’urgence. Il cherche à parler d’éco-anxiété, tout en créant des lueurs d’espoir. Comment trouver l’équilibre entre les deux ?

Beaucoup d’études sociologiques ont montré qu’il est compliqué, pour les êtres humains, d’agir de façon réellement anticipée. Politiquement, on sait aussi que les bonnes politiques de prévention et d’anticipation sont toujours compliquées à défendre, car elles ne se voient pas. Une bonne politique de prévention est une politique invisible, pour les questions environnementales comme pour celles de santé publique. C’est pareil avec la lutte contre la crise climatique : il s’agit de la capacité des êtres humains à s’engager pour quelque chose qui, si ça marche bien, ne se verra pas. C’est un grand paradoxe de l’humanité.

Ce n’est pas contradictoire de dramatiser tout en cherchant à porter de l’espoir. Je pense que c’est par la dramatisation qu’on arrive à amener les gens à agir, car ils ont du mal à agir quand ils ne voient pas le drame. Ça fait partie du même mouvement : on dit qu’il y a un énorme chantier, mais aussi qu’on a un plan et qu’on peut y parvenir ensemble. C’est plus enthousiasmant que de juste parler d’une crise terrible, ou bien de tenir des propos abstrait sur un avenir à long terme.

C’est pareil avec la lutte contre la crise climatique : il s’agit de la capacité des êtres humains à s’engager pour quelque chose qui, si ça marche bien, ne se verra pas.

Maintenant que les écologistes sont légitimés dans l’opinion publique sur les enjeux liés à l’environnement et au climat, quelle place leur reste-il pour aborder d’autres thèmes politiques ? 

Aujourd’hui, on est incontestablement crédibilisés de sérieux quand il s’agit d’alerter sur les dangers de la crise climatique. Même ceux qui nous combattent voient bien que ce qu’on racontait il y a trente ans se basait sur des réalités scientifiques totalement rationnelles. Selon Yannick Jadot, une des portes d’entrée dans le débat est qu’il y a dans le débat politique français des « pulsions de mort », avec l’extrême-droite et les tenants du statut quo productiviste, et que nous, les écologiste, sommes les « pulsions de vie ». Cette idée de vie implique bien sûr les clichés habituels sur les écologistes et l’environnement, mais inclut aussi les services publics, la défense de l’hôpital public et la lutte contre les déserts médicaux, ou encore une agriculture de qualité. Par cette idée que les écologistes sont du côté de la vie et pas de la mort, il y a une continuité sur tous les secteurs, et pas seulement les thèmes environnementaux.

Comment est traité le sujet du climat dans la campagne présidentielle ?

La question climatique a toujours été instrumentalisée. Après avoir été niée pendant cinquante ans, aujourd’hui elle fait consensus de constat dans la classe politique, mais le discours est de dire que c’est un problème trop grave et trop important pour qu’il soit géré par les écologistes, qui seraient dans une écologie punitive, avec le retour à la bougie, etc. Nos adversaires essaient de nous caricaturer en expliquant qu’on veut tout interdire, la viande, le foie gras, la voiture, etc, ce qui est évidemment totalement faux. Ce qu’ils essaient de faire aussi et qui est très marquant, c’est la stratégie d’Emmanuel Macron par exemple, c’est de ne pas parler de climat. C’est vraiment une stratégie consciente de leur part. Ils savent que si on met le climat au cœur du débat public, ça va nous faire monter. Selon les statistiques, c’est seulement 3% du débat public y est consacré !

Pourtant, depuis deux ans, des villes importantes comme Lyon, Grenoble, Strasbourg, Bordeaux, Poitiers sont gouvernées par des écologistes et ont des résultats très positifs : par exemple, la métropole de Lyon a mis en place un revenu de base pour les jeunes, qui donne aujourd’hui ses premiers résultats. Ce qui est positif et qu’on va pouvoir utiliser, c’est que là où on a donné le pouvoir aux écologistes, ça marche.

Notre enjeu est donc de montrer que, au contraire, les sérieux et les raisonnables, depuis le début de l’histoire, ce sont les écologistes. Ce ne sont pas eux qui ne respectent pas l’accord de Paris, qui n’investissent pas dans le renouvelable, qui relancent le nucléaire, les accords commerciaux, etc. Ce qui est punitif, c’est de ne rien faire : c’est ça qui cause des inondations, des vagues de chaleur, les morts de la pollution de l’air, etc. Nous voulons la fois défendre le bilan de nos élus, montrer que l’écologie ça marche, et mettre la crise climatique au cœur du débat, en y ramenant tous les sujets : économie, politique internationale, etc.

Ce qu’ils essaient de faire et qui est très marquant c’est de ne pas parler de climat. C’est une stratégie consciente de leur part. Ils savent que si on met le climat au cœur du débat public, ça va nous faire monter.

Emmanuel Macron a beaucoup instrumentalisé l’Europe et les questions internationales. Comment les écologistes peuvent-ils mettre en avant leur vision sur ces sujets ?

Nous avons dénoncé le fait que, contrairement à Angela Merkel, Emmanuel Macron ait décidé de conserver la présidence du Conseil de l’Union européenne en pleine campagne présidentielle, ce qui lui permet de l’instrumentaliser. C’est aussi extrêmement dommage pour la présidence de l’Union européenne, car la manière dont il conduit les négociations sur tous les dossiers est pensée à l’aune de sa campagne. En tant que soi-disant pro européen, c’est vraiment dramatique : ce dont a besoin l’Union européenne, c’est d’un président qui travaille pour l’Union européenne, et pas qui travaille pour faire réélire Emmanuel Macron.

Pendant la campagne présidentielle, comme en général, la couverture médiatique des sujets européens est très faible. Cela dit, j’espère que la PFUE (Présidence Française de l’Union Européenne, NDLR) va participer à placer les questions européennes dans le débat public, montrer ce qu’est l’Europe de Macron et mettre du contenu dans ce discours. Sur les aspects institutionnels, il y a beaucoup de choses qu’on partage avec lui, on n’a aucun problème à le reconnaître, mais sur les politiques publiques européennes, on a d’énormes divergences. Macron a toujours voulu se vendre comme étant un président super pro européen, mais de quelle Europe parle t’on? Par exemple, sur le sujet des plateformes des travailleurs numériques comme Uber, la France s’oppose à un statut de salarié automatique. Il est aussi contre le fait d’augmenter l’impôt sur les sociétés. Sur les traités commerciaux, on a une vision complètement différente de la sienne. Quant au climat, les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre au niveau européen n’ont même pas été retranscrits dans la loi française…

J’espère donc qu’on va pouvoir aborder les sujets européens de façon plus politisée et arrêter de penser qu’il y aurait deux camps, les pros-européens et les anti-européens, comme si les pro-européens étaient tous d’accord, comme s’il n’y avait qu’une Europe et qu’il fallait être pour ou contre. C’est l’inverse de la démocratie, puisque justement la démocratie c’est de choisir des options : plus ou moins de justice sociale, est-ce qu’il faut taxer les entreprises, à combien, etc.

Les écologistes ont toujours eu une position extrêmement claire sur les questions européennes, en France, mais aussi unis au niveau européen. Ce sont des sujets sur lesquels on est très à l’aise, puisque nos positions s’inscrivent en cohérence avec notre projet et n’existent que dans une Europe démocratique et forte. Nos positions n’existent pas à l’intérieur des frontières nationales uniquement. D’autres forces à gauche assument au contraire le fait que, si elles sont élues, elles « iront à Bruxelles » réclamer une série de réforme et que si elles n’obtiennent pas ce qu’elles veulent, elles quitteront l’Union européenne ou violeront les traités ou la législation européenne. Pour nous, un monde où on renonce à la démocratie au niveau européen ou où on y respecte pas l’état de droit, ça n’existe pas, ce n’est pas possible. 

L’extrême-droite est très présente dans cette élection, incontournable en France. Des candidats de gauche comme Mélenchon semblent tomber dans les pièges de Le Pen et Zemmour. Quelles sont les stratégies de Jadot et de ses porte-paroles pour imposer leurs propres sujets dans le débat ?

En France, on a le problème d’avoir un système médiatique très concentré, avec des chaînes d’information qui sont devenues des chaînes d’opinion et qui relaient majoritairement de l’idéologie d’extrême-droite. Ces idées progressent donc dans le débat. On se retrouve face à un dilemme : il faut s’indigner quand des propos fascistes sont tenus pour ne rien laisser passer, car ne pas réagir revient à banaliser, mais il faut éviter de visibiliser ces idées pour éviter de leur donner encore plus d’importance et qu’ils fassent encore plus du buzz. C’est la ligne de crête à tenir et qui n’est pas toujours facile. On ne peut pas laisser passer des horreurs fascistes toute la journée, mais il ne faut pas pour autant leur donner une tribune.

Il faut donc opposer à ce qu’ils racontent une alternative positive et sérieuse.

C’est ce qu’on fait par exemple sur l’immigration : on assume de dire clairement qu’il n’y a pas de problème avec l’immigration en France. C’est un sujet sur lequel il faut avoir des politiques publiques fortes, ambitieuses et pragmatiques.  Nous avons en France 30 000 médecins issus de l’immigration, l’hôpital public est en ruine, qui peut sérieusement prétendre qu’il faut expulser ces gens? Les « migrants », ce sont donc des gens qui font des qui travaillent à l’hôpital, dans l’industrie, dans les services publics, dans la construction de bâtiments, qui participent à la richesse de notre pays etc. On met l’accent sur les valeurs, pour sortir des arguments utilitaristes. En résumé, d’une part on démontre que ce qu’ils disent n’a aucun sens, et d’autre part on ramène sur des valeurs positives.

La gauche, et le camp progressiste de façon générale, sont très affaiblis. C’est peut-être un avantage pour l’écologie politique, car elle y est en position de force. Comment voyez-vous, d’ici à l’élection et au-delà, les perspectives stratégiques pour l’écologie politique au sein de la gauche et du camp des progressistes en France, au vu de la difficulté de la situation ?

Les héritiers de la social-démocratie française, au sens large, ne sont pas faibles parce qu’ils sont divisées, mais sont divisés parce qu’ils sont faibles. Il y a une fin de cycle en général dans le camp des progressistes et des humanistes. Le socialisme a été le grand projet du 20e siècle, avec la justice sociale, des nouveaux droit, l’émancipation, etc, ce sont des valeurs que nous ne renions pas, mais tout cela avait été pensé en omettant qu’on vivait sur une planète finie. L’ensemble de la logique de solidarité, de redistribution pensé par la gauche française depuis un siècle est fondé sur le fait qu’il faut de la croissance pour avoir de la prospérité pour avoir de la justice.

Ce modèle est totalement obsolète. Idéologiquement, on est dans une phase où ce n’est plus le projet qui peut répondre aux questions qui se posent actuellement. Les grands problèmes du 21e siècle ne sont plus les mêmes que ceux du 20e siècle : la question n’est plus seulement comment on répartit les richesses dans un monde qui croît sans arrêt, mais comment on répond à la crise climatique dans la justice sociale. Et la réponse c’est l’écologie politique.

Aux dernières élections européennes, il y avait la liste des écologistes, la liste de Génération.s (le mouvement de Benoît Hamon qui a quitté le Parti Socialiste), la liste de Génération Écologie (menée par Delphine Batho), et la liste du Parti socialiste (mené par Raphaël Glucksmann). Notre campagne présidentielle rassemble aujourd’hui trois de ses listes : les écologistes, Génération Écologie avec Delphine Batho, et Génération.s. Les socialistes eux se sont divisés. Cet éclatement montre bien la fin de cycle à l’œuvre chez les héritiers de la social-démocratie. L’écologie, au contraire, est dans un mouvement inverse : pendant très longtemps, les écologistes étaient relativement divisés en France, avec plein de petits partis. Avec la primaire, nous sommes en train de grandir et de nous rassembler, alors que eux sont en train de diminuer et de se diviser.

Sur le contexte médiatique, comment gérer l’importance des sondages dans la couverture médiatique de l’élection présidentielle ?

La France est une démocratie sondagière, en raison de son système majoritaire. La question très forte qui se pose pour l’électorat en général est celle du « vote utile ». Les gens ne votent pas nécessairement pour le ou la candidate qu’ils préfèrent, mais pour le ou la candidate le ou la plus proche de leurs idées et qui a le plus de chances de parvenir au second tour. Il y a donc une attention démesurée sur les sondages, chacun essayant de démontrer que c’est lui ou elle le « vote utile ».

Ce n’est pas agréable, surtout qu’on a vu aux élections européennes que les sondages se trompent souvent : le score des écologistes était fait deux fois plus élevé aux élections européennes que le sondage de la veille. De la même façon, si on avait cru les sondages il y a deux ans, il n’y aurait aucun maire écologiste en France. Le problème est que ce sont aussi des prophéties autoréalisatrices, alors que les gens restent indécis très longtemps pendant la campagne.

Notre pari, c’est que le sérieux, le projet, ça paye. Ce n’est pas facile tous les jours, mais on ne va pas changer de projet en fonction des sondages. Nous travaillons donc à convaincre que notre projet est le plus clair et le plus cohérent et que le seul vote utile c’est le vote qui amènera à une présidence utile: une présidence écologiste.

L’ensemble de la logique de solidarité, de redistribution pensé par la gauche française depuis un siècle est fondé sur le fait qu’il faut de la croissance pour avoir de la prospérité pour avoir de la justice. Ce modèle est totalement obsolète

Les écologistes sont parfois critiqués parce qu’ils axent leurs discours sur la rationalité et la science ne font pas appel aux émotions. Selon vous, quelle place laisser aux émotions comme la colère dans la campagne présidentielle ?

Il faut de la place pour la colère, oui, mais aussi pour la joie. Nous portons une écologie responsable et sérieuse, mais aussi joyeuse. L’écologie, c’est aussi de l’enthousiasme et du plaisir,  ce n’est pas les douches froides et la bougie, c’est manger de bonnes choses dans des lieux agréables et être en bonne santé. Les adversaires de l’écologie politique ont toujours voulu faire croire que l’écologie était punitive, alors que c’est tout l’inverse, l’écologie est la voie positive pour sortir de la punition qu’est la crise climatique produite par notre société productiviste. Et les solutions positives existent déjà dans nos territoires. On organise donc beaucoup d’événements dans les territoires avec celles et ceux qui changent déjà la société au quotidien.

Il faut incarner que l’écologie ce n’est pas l’austérité, la culpabilité et la déprime. C’est par exemple des agriculteurs qui racontent comment tout va mieux dans leurs vies et leurs fermes depuis qu’ils sont passés en bio. On veut vraiment montrer que c’est le projet joyeux et raisonnable. Nous sommes du côté la science et de la raison mais c’est pour cela qu’en partant de nos solutions on pourra bâtir un monde meilleur. C’est plutôt de ne rien faire pour changer de monde qui est la punition.