En octobre 2018, les deux partis écologistes belges ont réalisé de très bons scores lors des élections communales. Le parti francophone, Ecolo, est aujourd’hui aux affaires dans 14 communes sur 19 de la région Bruxelles-Capitale, dont 3 mayorats. Stéphane Roberti, membre d’Ecolo et qui a longtemps œuvré dans le social et la santé communautaire, est le nouveau maire (bourgmestre en Belgique) de Forest et compte utiliser son mandat pour amplifier l’ouverture des autorités locales aux citoyens et emmener plus loin transition écologique. Territoire d’une communauté socialement et culturellement mixte, cette commune modeste du sud-est de Bruxelles vit comme toutes les autres les effets du réchauffement climatique. De la participation citoyenne au logement ou encore aux espaces verts, le Green European Journal s’est entretenu avec Roberti sur sa vision et l’horizon pour Forest en ces temps d’incertitude politique et à l’heure où les villes de par le monde prennent un rôle croissant comme espaces de luttes et de changement.

Green European Journal: Stéphane Roberti, vous êtes depuis décembre 2018 le Bourgmestre de Forest, commune de la région Bruxelles-capitale. Vous y avez officié comme Président du CPAS (centre public d’action sociale) pendant 12 ans. Pensez-vous que quelque chose de fondamental se passe à Bruxelles et en Belgique quant à la connexion entre la « ville » et la transition écologique ?

Je débute aujourd’hui ma troisième participation au niveau communal, et je dois dire que lorsque je suis arrivé en 2006, la question de la transition écologique était reléguée au second plan et rarement prise au sérieux. Aujourd’hui et encore plus depuis les marches des étudiants pour le climat (NDLR : en Belgique les F4F – Fridays for Future – se tiennent le jeudi et ont été les pionniers d’un courant maintenant mondial) les choses ont radicalement changé. Encore récemment, envisager de supprimer des places de parking, rendre des rues piétonnes ou des pistes cyclables était périlleux d’un point de vue politique et nécessitait des majorités très fortes et larges difficiles à obtenir. Je crois qu’il y a effectivement une prise de conscience des responsables politiques locaux – et cela transcende de plus en plus les lignes des partis – qu’il y a urgence, qu’ils peuvent agir et que c’est leur responsabilité.

Ce mouvement de fond porte sur le climat mais porte-t-il aussi sur le rôle des communes/villes (NDLR : en Belgique les villes sont des communes et la région Bruxelles-Capitale est une ville-région composée de 19 communes, dont Forest) dans les changements de modes de vie et sur les formes de résistance, si pas de désobéissance, par rapport à l’échelon national ?

Forest, et particulièrement Ecolo à Forest, est depuis longtemps engagée sur les questions sociales, qui par ailleurs sont pour nous aussi des questions environnementales. A Forest, nous étions et sommes très inquiets des décisions prises par le gouvernement fédéral car l’on a vu les effets directs des mesures d’austérité et d’attaque sur le social et sur les réfugiés à travers l’augmentation de la pauvreté et la précarité en général. De ce point de vue nous sommes entrés en résistance comme certaines communes ailleurs en Belgique.

Après les élections communales d’octobre 2018, nous avons inscrit dans notre document de politique générale notre volonté de nous engager dans la logique des villes sans peur – Fearless Cities. Principalement pour deux raisons. Tout d’abord, nous sommes convaincus qu’ensemble – citoyens et institutions communales – nous pouvons œuvrer à plus de solidarité, de justice sociale et de transition écologique… sans peur. Ensuite, nous voulons signaler notre ouverture à d’autres initiatives et réalités et s’inscrire dans des réseaux de villes en Europe. Mais il faut bien savoir qu’en Belgique nous n’avons pas encore pris conscience du champ des possibles des pouvoirs communaux. Evoquer le concept de « fearless city » suscite des réactions d’incompréhension ou de surprise.

Pour l’instant, je ne pense pas qu’en Belgique et en région Bruxelloise il y ait une volonté manifeste de faire de la ville un lieu politiquement plus important et pertinent. Il n’y a pas à Bruxelles – et c’est en partie dû à l’histoire de la région Bruxelles-Capitale – à ce jour de logique municipaliste, encore moins dans son acception libertaire, comme dans certaines villes en France, en Italie et en Espagne et ailleurs en Europe… ayant bien sûr en tête les compétences et moyens limités que ce niveau de pouvoir possède en Belgique. Il y a certes des signes positifs et les initiatives prises, comme c’est notre cas à Forest, autour des démarches de démocratie participative, de droit d’interpellation publique, avec un droit d’initiative citoyenne, et des conseils communaux mixtes (où élus et citoyens siègent ensemble). En Flandres, certaines démarches vont plus loin encore. Je pense qu’Ecolo à Bruxelles devrait se réinterroger sur le communal/municipal et le municipalisme. Le parti défendait dans les années 1980 le découpage de Bruxelles en quartiers et la question des territoires fait un grand retour en politique aujourd’hui. Cela doit nous encourager à réfléchir notre action politique locale pour la transition et pour un meilleur ancrage à tous les niveaux de pouvoir.

Ces démarches posent la question de la relation entre citoyens et élus et les formes – changeantes – du « faire de la politique ».

Le volet politique et la vision des partis sont souvent mis en avant mais ce que j’observe sur les territoires de la région bruxelloise, et certainement pour Forest, c’est l’augmentation des initiatives citoyennes. Les citoyens prennent les choses en main, et ils ne demandent pas l’autorisation du politique. En région Bruxelloise, beaucoup de ces « prises en main » du destin de quartiers sont la conséquence et le résultat à long terme de politiques telles que celle des « quartiers durables » (NDLR : développés à l’époque par la Ministre régionale Ecolo, Evelyne Huytebroeck). De manière concrète, ce sont des gens actifs sur la préservation du patrimoine, les questions d’aménagement du territoire, qui créent des coopératives alimentaires, de l’offre culturelle, qui organisent des actions de solidarité, des potagers, etc. Ces initiatives ne sont ni partisanes ni politiques au sens classique du terme mais elles sont engagées et elles obligent et encouragent les élus à soutenir et à poursuivre leur engagement.

Ces initiatives sont autant de tests de maturité et de gestion politiques pour les élus et donc pour Ecolo. Soutenir des initiatives citoyennes dès leur conception se révèle souvent frustrant pour les élus locaux car, pour le citoyen, il est inaudible que le pouvoir politique ait sa part de responsabilité positive dans ce qui apparaît comme « grassroots ». De même, et c’est important pour les responsables locaux issus des mouvements verts, œuvrer à la transition écologique est très différent selon que l’on est au pouvoir ou dans le militantisme ou l’associatif de terrain. Aujourd’hui, à Forest, j’en veux pour exemple la question des arbres dans les parcs. Leur gestion est assurée par une entité régionale mais la commune a son mot à dire et un de mes combats est de préserver les arbres. Malgré tout je ne peux me passer de l’avis des experts qui me disent que certains arbres sont victimes du réchauffement climatique, sont malades et doivent être coupés. Je passe donc dans le mode politique où je vais envisager les solutions pour compenser cette perte, m’assurer que d’autres ne surgissent pas et surtout engager un processus de consultation et de participation avec les citoyens, pas seulement pour militer pour la préservation des arbres mais pour dialoguer autour d’une question plus profonde et large qu’est l’environnement et la biodiversité dans une commune.

C’est là l’un de vos chevaux de bataille – la participation.

Je pense que de nombreuses actions peuvent être réalisées pour favoriser la participation citoyenne. Je pense qu’elle ancre plus durablement le changement et surtout qu’elle nourrit très positivement les décisions prises par les autorités. Mais ce n’est pas simple ! Les citoyens n’ont pas nécessairement envie de se réunir, de s’impliquer, de prendre les choses en main à travers des comités de quartier. Et il faut aussi s’assurer de l’inclusion de tous car le temps disponible, le capital culturel, social ou financier peuvent tous biaiser la participation et parfois la rendre contraire à son ambition première. La participation ça ne se décrète pas. Il faut la susciter, la soutenir, la propager et trouver des projets concrets et suffisamment ambitieux pour que les citoyens ressentent l’envie de donner leur avis, leur temps et sentent qu’ils sont capables d’agir sur le réel.

Pour reprendre l’exemple des arbres dans le parc Duden, la gestion participative proscrit de simplement couper des arbres, d’en replanter ailleurs avec l’avis des experts et de passer à autre chose. Il faut inclure les citoyens dès le départ, leur dire que nous avons ici, et pas à des milliers de kilomètres, la manifestation concrète du réchauffement climatique. Notre poumon vert, au centre de notre commune, est affecté. Que faire ? Quel est leur avis ? Les impliquer dans la réflexion et les laisser venir avec leur bagage sans imposer un cadre prescrit d’avance à la participation. Il est important de ne pas préempter les formes que prendra la participation. Les états généraux de l’eau à Forest en sont un bon exemple. Par le passé, des citoyens étaient en demande de participation pour régler un problème très concret de perpétuelles inondations dans une partie de commune. Se joignant aux experts, ils ont créé une réelle institution qui perdure et a poussé la commune à aller plus loin dans la gestion de l’eau. Nous avons aujourd’hui les états généraux de l’eau et envisageons des rivières urbaines.

Ne participe pas seulement qui veut mais qui peut. Peut-on aussi parler d’un combat indirect contre les inégalités afin de faire de la participation un forme inclusive de démocratie ?

Oui, concrètement cela requiert de tout faire pour éviter que seuls les plus privilégiés participent et aient plus d’impact ? Des moyens existent pour amener les classes dites populaires à prendre part au processus de participation. Il faut en prendre le temps et s’en donner les moyens. Agir face au tapage nocturne ou au trafic de stupéfiants entre habitants d’un quartier est aussi une forme de participation. Plus généralement, l’enjeu est d’amener les gens à être à l’aise lors de la participation. Dans les milieux populaires, il y a avant tout une crainte d’être confronté à un milieu culturel difficile à comprendre et d’être stigmatisé pour ces raisons. Je pense dans ce cas que la participation des citoyens via l’école et via les projets autour des enfants est cruciale.

Quelles sont les autres formes de participation que vous encouragez ?

Au-delà du dialogue et des rencontres régulières il y a la pratique des budgets participatifs que nous voulons développer, le droit d’initiative citoyenne et les conseils communaux mixtes où les citoyens siègent avec élus et pour lesquels il faut garantir une bonne représentativité de la mixité sociale et culturelle de la commune. Il peut et pourra y avoir d’autres formes. Je ne suis pas rigide ni dogmatique sur les formats car l’important est d’ancrer la pratique de co-construction avec les citoyens. Dans les communes bruxelloises ces pratiques ne sont pas légion…

Dans le programme d’Ecolo pour la commune il est frappant de voir le volet social et santé prendre une telle ampleur alors que les compétences à ce niveau ne sont pas nécessairement étendues. Pourquoi ?

Notre déclaration de politique générale est fort axée sur la question de la santé et du bien-être social parce que nous sommes convaincus qu’effectivement, il est possible d’agir sur beaucoup de facteurs à notre niveau. La santé, c’est avoir un emploi, un environnement, un logement de qualité. Si la commune a certes peu de leviers sur l’emploi en tant que tel le fait d’aborder différemment, sans stigmatiser et sans être répressif, la situation des personnes sans emploi à travers le CPAS par exemple a un impact direct sur la santé. Non seulement sur la santé des personnes concernées mais aussi indirectement sur celle des citoyens de la commune vivant dans un cadre plus apaisé. Il y a beaucoup de petits leviers autour de l’accès à la santé et à la sécurité sociale qui rendent la qualité de vie et l’environnement social bien meilleurs et donc la vie de la commune plus agréable.

Parmi ces leviers et au regard de la situation sociale, où la question du logement se situe-t-elle ? Dans une commune qui est passée rapidement de 48.000 à 55.000 habitants ces dernières années il y a certainement des défis et des opportunités sur ce terrain.

La question du logement au niveau communal est essentielle, et en particulier sur trois aspects. Tout d’abord les leviers d’action sont importants car la commune peut proposer des logements communaux à des citoyens précarisés, mais le « comment » est aussi important que le « quoi » dans ce cas. Des logements sociaux et durables doivent permettre d’améliorer la mixité sociale, de faire prendre conscience de l’importance des espaces verts et des lieux de rencontre ou d’interaction. Ensuite, la gestion du logement en général au niveau communal doit être une voie de changement plus large sur la question du vivre ensemble et du vivre autrement. Les habitats partagés tels que celui où j’habite ont longtemps été vus et décriés comme des lieux pauvres en espace, ne disposant pas d’espace vert, voire même inconfortables. Ces préjugés et ces héritages des années où l’on était convaincu que tout le monde devait et pouvait avoir une grande maison unifamiliale avec jardin, garage, etc. doivent être confrontés à d’autres manières de vivre. Les habitats groupés et les logements sociaux intelligents envisagent les espaces partagés de manière durable et passive, tout en maximisant les espaces verts, de convivialité et en améliorant la vie de la communauté. Enfin, je suis de ceux qui pensent que la crise migratoire climatique ne va pas s’arrêter. Lorsqu’on fait le choix, comme à Forest, d’être une commune hospitalière, il faut s’attendre à une vie urbaine plus dense et donc penser l’habitat intelligemment pour ne pas se retrouver avec moins d’espace pour vivre ensemble et encore moins d’espaces verts.

Forest est-elle aussi pionnière en matière de politiques à mener face au réchauffement climatique parmi les communes bruxelloises ?

Notre commune dispose maintenant d’un Plan Climat. Il émane de la volonté de dire qu’au niveau local de nombreux et importants leviers existent pour changer la réalité quotidienne et participer à la transition. Les achats de matériaux pour les écoles, les rénovations de bâtiments, les fournitures, équipements et matériaux communaux, les moyens de transports des structures communales, la gestion des espaces verts… sont autant de perspectives très concrètes de ce qu’une ville peut faire. Forest est un commune sans plastique à usage unique, Forest a des rues scolaires (rue attenant à une école et maintenant sans circulation automobile), etc. Logement, démocratie, mobilité, écoles, voirie, etc. sont autant de leviers clés mais ne suffisent pas s’ils ne sont pas coordonnés. Aujourd’hui, selon moi, le rôle d’un échevin climat est de scruter toutes les prises de décision communales avec le regard transversal de la question climatique.