Plusieurs tentative de typologisation et de classification ont été avancées afin de rendre compte de la surprenante diversité d’attitudes et de perspectives qu’a manifesté la pensée politique écologiste au cours de son histoire. Elles s’appuient le plus souvent sur une ou plusieurs paires de couples conceptuels. Un des plus anciens – et sans doute un des plus influents – de ces couples conceptuels est constitué de la dichotomie écocentrisme – anthropocentrisme. Selon Eckersley (1992) la plupart des différends entre penseurs de l’écologie sur la signification, la portée et les conséquences politiques de la prise en compte de l’environnement peuvent se ramener à ce dilemme fondamental.

L’opposition écocentrisme/anthropocentrisme est présente dès les origines de la tradition écologique, dans le récit (faut-il dire le mythe ?) qui nous a été transmis des relations entre John Muir et Gifford Pinchot. Gifford Pinchot (1865-1946) a été le premier directeur du Service des Forêts des Etats-Unis et également le premier des « conversationnistes ». Quant à John Muir (1837-1914), le père fondateur du Sierra Club et du premier parc national des Etats-Unis, le parc Yosemite, il est le saint-patron des « preservationnistes ». La différence entre les deux attitudes tient dans la question de savoir si la nature a une valeur intrinsèque, indépendamment de l’usage que l’homme peut en faire) ou, si au contraire, elle n’a de valeur (pour nous) que dans sa contribution au bien-être humain. Dans le premier cas, il importe d’en préserver la plus grande part possible des atteintes de l’homme. Dans le second cas, il faut veiller à ce qu’elle conserve les propriétés qui la rendent utile pour l’homme. Une phrase de Pinchot est typique de l’attitude conservationniste: « Il n’y a à proprement parler que deux choses en ce monde matériel – des gens et des ressources naturelles ». La dispute entre le conservationniste Pinchot et le préservationniste Muir, féru de nature sauvage, au sujet du sort de la vallée Hetch Hetchy qui a mis un terme à leur amitié est la source d’une polarisation durable entre ce que Martinez-Alier appelle « l’évangile de l’efficience écologique » et « le culte de la vie sauvage ». En réalité, ramener l’histoire nettement plus nuancée et complexe des tensions entre courants écologiques divergents aux Etats-Unis au seul duel « John Muir versus Gifford Pinchot » relève un peu de la caricature. (Martinez-Alier, 2002, p.7) Si la polémique – relative à l’existence et au statut d’une « valeur intrinsèque » de la nature – a été vive et durable entre théoriciens de l’éthique de l’environnement et penseurs de l’écologie on ne peut pas dire qu’elle ait fortement influencé les pratiques et les politiques écologiques. Comme le fait remarquer Dryzek : « Répondre à la question de savoir comment équilibrer les intérêts de l’humanité avec les autres intérêts est probablement plus facile en l’abordant dans des cas particuliers plutôt qu’en le traitant sur le plan de l’abstraction philosophique. Le différend philosophique à propos de la valeur relative des êtres humains et du virus de la variole n’empêche pas de reconnaître la nécessité de protéger les restes de forêts primaires de Californie, de l’Oregon, de Washington et de la Colombie britannique contre l’exploitation forestière, de veiller à interdire l’exploitation de mines d’uranium dans les parcs nationaux et de rendre à la rivière Colorado son état primitif de rivière sauvage. » (Dryzek, 2005 [1997], pp. 184-185).

De nos jours, n’en déplaise à Eckersley, il reste peu de traces du dilemme anthropocentrisme/éco-centrisme dans les préoccupations des partis écologistes et dans leurs propositions. Rien d’étonnant à cela : les conséquences possibles des changements climatiques et de l’érosion de la biodiversité sont déjà suffisamment inquiétantes d’un point de vue strictement anthropocentrique pour qu’il soit nécessaire d’aller chercher des raisons supplémentaires pour agir (même si elles se justifient également). C’est probablement pour la même raison que l’opposition, virulente à l’époque, entre environnementalisme et écologisme a (relativement) perdu de sa vigueur. Alors qu’Eckersley organise toute son analyse de la pensée écologiste sur le couple anthropocentrisme/écocentrisme », Andrew Dobson privilégie l’opposition entre environnementalisme et écologisme pour rendre compte des différentes facettes de la pensée politique des Verts (dans « Green Political Thought» paru en 1990). Il distingue ainsi les Verts (avec V majuscule) des verts (avec un v minuscule) des « verts » (entre guillemets) Selon Dobson, alors que les environnementalistes (les verts) pensent que les problèmes environnementaux peuvent se résoudre sans de profonds changements sociaux et culturels, les écologistes (les Verts) maintiennent au contraire qu’il est indispensable de procéder à des changements radicaux dans nos rapports avec la nature, dans nos styles de vie et dans nos valeurs. Les « verts », quant à eux, se contentent de couvrir leurs activités d’un vernis vert et de poursuivre tranquillement le « business as usual ».

Une cartographie des discours écologistes

Nous avons vu que l’écocentrisme est généralement opposé à l’anthropocentrisme. Cependant dans certaines typologies, il peut être opposé plutôt au technocentrisme, comme chez O’Riordan (1981) qui caractérise l’écocentrisme ainsi: « l’écocentrisme prêche les vertus de respect, d’humilité, de responsabilité et de sollicitude ; il prône une technologie douce (sans être pour autant antitechnologique) ; il juge sévèrement le gigantisme et la dépersonnalisation sous toutes ses formes (surtout dans la ville) et réclame un code de comportement qui vise la permanence et la stabilité fondée sur les principes écologiques de diversité et d’homéostasie (d’équilibre interne) » (O’Riordan 1981, p1 ; cité par Dobson 1990, p.85). Trois chercheurs du « Sustainable Cities Research Insitute » de l’université de Northumbrie ont récemment proposé un diagramme des discours environnementaux sur un plan formé de deux axes perpendiculaires : technocentrisme/écocentrisme en abscisse et égalité/inégalité en ordonnée.

Diagramme (source : Hopwood,Mellor et O’Brien, 2005 :41)

Comme le montre ce diagramme, Hopwood, Mellor et O’Brien identifient trois zones qu’ils nomment respectivement « Statu quo », « Réforme » et « Transformation ». La place manque pour se livrer à une discussion détaillée des positions attribuées par les auteurs aux différents discours dans l’espace ainsi constitué. A n’en pas douter, certaines localisations pourraient à tout le moins donner lieu à controverse. Les membres d’Attac seraient vraisemblablement surpris d’être considérés comme des réformistes proches des ingénieurs thuriféraires du « Facteur 4 » ! On pourrait enrichir le diagramme en introduisant une troisième dimension : le temps. Ce serait sans doute plus fécond. Du reste, s’il fait défaut dans le diagramme, le temps est pris en compte à certains moments dans les commentaires de Hopwood, Mellor et O’Brien. Ils notent par exemple que : « les groupes environnementaux classiques tels les Amis de la Terre, Greenpeace, WWF et le Sierra Club sont majoritairement dans le groupe « Réforme ». Ils ont évolué en grande partie de l’activisme de base vers la protestation de masse et le lobbying politique et collaborent avec les milieux industriels et les gouvernements ». (Hopwood, Mellor & O’Brien, 2005, p.44). En fait, avec le temps, non seulement beaucoup d’organisations ont changé de position relative dans le paysage politico-idéologique mais le paysage lui-même s’est considérablement modifié. Toutes les vues d’ensemble sur les discours environnementaux ne sont pas construites sur des antinomies conceptuelles comme celles que nous avons évoquées jusqu’à présent. Ainsi Dryzek dans «The politics of the earth » (« La politique de la terre ») publié en 1997 – un ouvrage influent et à juste titre- ne prétend pas déduire sa caractérisation en dix discours sur l’environnement de la pensée politique verte de l’articulation de dilemmes conceptuels ou logiques. Cependant il est possible d’ordonner à partir de quatre couples conceptuels les 10 perspectives identifiées par Dryzek, à savoir : le survivalisme, le prométhéisme, le rationalisme administratif, le pragmatisme démocratique, le rationalisme économique, le développement durable, la modernisation écologique, la sensibilité verte, la politique écologique et la démocratie écologique. Ces couples conceptuels sont: le local versus le global, le réformiste versus le radicalisme, la technocratie versus la démocratie (participative) et l’accent sur les ressources versus l’accent sur les besoins. Cette dernière distinction demande un mot d’explication. Mettre l’accent sur les ressources consiste à prôner une sortie de crise écologique au moyen d’une gestion plus rationnelle et plus scrupuleuse de l’environnement. Au contraire, mettre l’accent sur la maîtrise des besoins humains revient à nier la possibilité de créér une relation harmonieuse et durable avec la nature sans une modification profonde des comportements et des institutions humains. On peut du reste encore subdiviser les tenants de cette approche entre ceux qui pensent que ce sont les gens eux-mêmes qu’il faut changer, c’est-à-dire leurs croyances, leurs valeurs et leurs attitudes alors que d’autres visent en priorité les institutions, c’est-à-dire les systèmes de règles et d’incitants dans lesquelles s’inscrivent les comportements humains. Selon Dryzek, l’écologie profonde, l’écothéologie, l’écofeminisme, le biorégionalisme, etc., reposent sur une remise en cause de la matrice culturelle de la société industrielle, c’est-à-dire des termes mêmes dans lesquels les individus sont amenés à ressentir la nature, et à penser les relations entre elle et l’homme. D’où l’appellation de discours de la « conscience écologique » sous laquelle il les rassemble. En revanche, les discours qui selon Dryzek relèvent de la « politique écologique » visent à changer les comportements par une transformation des institutions sociales, économiques et politiques.

Stratégies orientées vers les ressources et/ou orientées vers les besoins

Je pense que faire la distinction « accent sur les ressources » versus « accent sur les besoins » nous aide à comprendre quels sont les enjeux du débat actuel sur la croissance, l’éco-efficience et le découplage. Ce n’est pas une catégorisation éthique ou philosophique mais une catégorisation purement pragmatique. Elle se trouvait déjà implicitement dans la formule IPAT (acronyme anglais pour : impact = population x affluence x technology) formulée dans les années 1970 par Barry Commoner, Paul Ehrlich et William Holdren dans le cadre de leurs analyse des problèmes environnementaux. Ils démontraient que tout problème environnemental (I) trouvant son origine dans les activités humaines de consommation ou de production pouvait fort bien être vu comme le résultat de trois facteurs en interaction: a) la population (P) c.a.d. le nombre de personnes qui produisent ou consomment un produit (ou un service) donné, b) le nombre d’unités produites ou consommées de ce bien ou service par personne (A) et c) l’impact environnemental d’une unité du produit ou service (T). Pour donner un simple exemple : le total des émissions de gaz à effet de serre d’un pays donné (I) peut s’exprimer comme le produit de la population (P) multiplié par son PNB par habitant (A) multiplié par l’intensité de son économie en CO² (CO²/$) qui dépend de sa technologie (T). Nous nous abstiendrons d’ouvrir ici la discussion sur la nature épistémologique ou sur les présupposés de l’équation IPAT. Elle a fait l’objet de critiques nombreuses pas toujours justifiées du reste et quelques améliorations, parfois judicieuses, y ont été apportées. L’intérêt de l’IPAT c’est cette idée, simple mais forte, d’identifier quatre grandes classes de facteurs : environnement et technologie (I et T) d’une part et démographie et richesse (P et A) d’autre part. Les choses peuvent être encore simplifiées en rassemblant les ressources environnementales et les techniques dans la catégorie des ressources, d’une part, et en regroupant la démographie et le niveau de consommation sous la catégorie générale des besoins humains, d’autre part. On retrouve donc ici la notion de capacité de charge qui se définit ici par le quotient « ressources/ besoins » ou « IT/PA ». De même que tout ménage soucieux de joindre les deux bouts, s’efforce d’ajuster ses besoins à ses revenus, toute société doit maintenir l’équilibre entre son mode de vie et ses ressources. En partant d’un hypothétique état d’équilibre entre les ressources et les besoins, une crise de durabilité se produit lorsque l’état dans lequel se trouve l’environnement (I) est devenu objectivement – ou subjectivement (c’est-à-dire qu’il est perçu comme tel) incapable – dans les limites de la technologie disponible (T), de perpétuer le mode de vie et de consommation considérés comme désirable (A) par cette population (P). La cause peut être exogène (tremblement de terre, tsunami, éruption volcanique, sècheresse…), endogène (démographie en hausse, surexploitation de la ressource de base) ou une combinaison des deux (ce qui est souvent le cas). Les historiens s’accordent (avec Malthus) pour considérer une croissance démographique excessive ou trop rapide comme un des principaux facteurs endogène de déclenchement de crises de soutenabilité. Face à ce type de crise, il n’y a guère que quatre possibilités de réaction:

  1. Gérer les ressources sans toucher aux besoins
  2. Gérer les besoins sans changer les ressources
  3. Gérer tant les besoins que les ressources
  4. Ne toucher ni aux besoins ni aux ressources

Techno-prométhéens versus verts radicaux

Gérer les ressources signifie mettre en place des politiques publiques au plus haut niveau institutionnel en vue de s’assurer directement ou indirectement un accès à une quantité suffisante de ressources, compte tenu du niveau de vie considérer comme adéquat. En revanche, une politique des besoins consiste à infléchir la notion de « niveau de vie adéquat » et à contrôler l’accès des différentes catégories sociales aux ressources disponibles. Les moyens d’une politique des ressources sont l’extensification, l’intensification ou une combinaison des deux. La première stratégie consiste à augmenter la base de ressource de base par la colonisation, la conquête militaire, le défrichement, etc. Nous incluons dans cette idée d’extensification l’exploitation d’une matière première ou d’une source d’énergie jusqu’alors inexploitée et leur intégration dans le circuit économique comme ce fut le cas lorsque le charbon, puis le pétrole ont intégré le processus de production sur une grande échelle. On peut, en effet, considérer cette mise en exploitation du charbon et du pétrole comme une forme de colonisation du sous-sol, comme une extension de la surface disponible non plus dans la dimension horizontale comme dans le cas d’un défrichement ou d’un assèchement de marécage, mais dans la dimension verticale. La seconde stratégie, l’intensification, consiste à extraire davantage de valeur de chaque unité de matière première prélevée dans l’environnement et ce au moyen d’innovations technologique ou organisationnelles et/ou par un accroissement de la quantité de travail. L’intensification consiste donc à augmenter la productivité des ressources. Nous en avons déjà parlé : c’est « l’évangile de l’éco-efficience ». Une politique des besoins consiste en un ensemble de mesures visant à ajuster le niveau de consommation aux ressources disponibles soit en agissant sur le facteur A soit en agissant sur le facteur P. Dans le premier cas, on diminue le niveau moyen de consommation sans toucher au facteur démographique, dans le second on diminue la charge démographique au moyen de l’émigration, de la réduction de la fertilité, d’infanticides, de guerres etc. Dans son livre « Collapse », Jared Diamond relate un exemple intéressant de gestion délibérée et collective des besoins dans les iles Tikopia dans les années 1600 lorsque ses habitants ont décidé d’abattre tous les porcs de l’archipel. Cet abattage s’explique par la prise de conscience d’un conflit d’usage des ressources de la biomasse entre alimentation (directe) des hommes ou nourrissage des porcs puisqu’il faut divertir de la nourriture des humains pour nourrir des animaux qui de plus saccageaient les potagers et constituaient un produit de luxe consommé principalement par la classe dirigeante. Au cours de l’histoire et dans de nombreuses sociétés, c’est la religion qui a joué le rôle le plus important dans la gestion des besoins et des aspirations des peuples. Le capitalisme constitue à cet égard une exception dans l’histoire dans la mesure où pendant l’essentiel de son existence son problème n’a pas été de diminuer les aspirations à la consommation mais au contraire à les augmenter pour soutenir le processus d’accumulation et la génération du profit. En fait, comme le montre Daniel Bell (1976), pour induire le comportement de (sur)consommation actuel, le capitalisme a du vaincre les résistances de ce qui lui avait été un allié précieux dans le passé : l’éthique protestante et le puritanisme. Bien qu’à l’évidence il n’y ait pas qu’un seul moyen de régler une crise de durabilité, il est fort probable que les sociétés préfèrent d’abord d’essayer d’agrandir leur base de ressources si la possibilité existe avant d’intensifier la charge de travail et, a fortiori, de restreindre la consommation. Le problème est que l’extensification a des limites dans un monde fini. Il y a par ailleurs aussi des limites à une intensification sans cesse prolongée. En l’absence d’innovations technologiques importantes, toute amélioration à la marge de la productivité des ressources donne un rendement décroissant si bien que, finalement, il s’avère nécessaire de pratiquer une politique de contraction de la demande pour prévenir un effondrement social et culturel, à tout le moins durant la période transitoire, lorsque les anciennes technologies associées à la base de ressource ont épuisé leur potentiel et que le nouveau cluster « technologie-ressource » est en train de s’affirmer et se consolider. Evidemment, des restrictions imposées sont rarement bien accueillies par les populations si bien que des stratégies d’austérité sont rarement ouvertement décidées et mises en œuvre comme telles. Plus souvent, elles restent implicites et discrètes dans un premier temps en étant installées au travers d’un relâchement lent et progressif des dispositions et des pratiques qui, dans le passé, assuraient un niveau de vie acceptable, même aux moins-nantis. Le tableau 1 est une tentative de catégorisation des discours politiques en matière environnementale les plus fréquents recensés par Dryzek selon l’importance relative que ces discours donnent à la gestion des ressources et à la gestion des besoins.  Le prométhéisme fait référence à l’attitude, typique de nombre d’économistes, qui consiste à nier l’existence de limites environnementales absolues à la croissance ainsi que la nécessité de politiques publiques que ce soit en vue d’augmenter la base de ressource de base ou, a fortiori, pour induire un changement d’attitude des consommateurs. Bien que les « prométhéistes » admettent la possibilité de pénuries temporaires pour certaines ressources ou de pressions excessives momentanées sur l’environnement, ils maintiennent que, par le mécanisme des prix, le marché, à lui seul, est capable de rétablir l’équilibre entre ressources et besoins, et ce même à un niveau supérieur à celui d’avant la crise, pour autant que les droits de propriété soient correctement alloués et respectés. Les avocats de la modernisation écologique, contrairement au prométhéistes, ne croient pas qu’un capitalisme livré à lui-même soit en mesure de résoudre l’actuelle crise de soutenabilité. De plus, ils craignent que, sans une intervention déterminée et ambitieuse de l’Etat, la crise aille s’aggravant et prenne des proportions catastrophiques. Ils pensent qu’en réorientant des méthodes de production et qu’en investissant massivement dans les innovations technologiques écologiques au moyen de politiques incitatives publiques, on parviendra à nous sortir du gâchis écologique. En résumé, ils font confiance à la science et à la technologie, imaginent un capitalisme vert, nouveau, et ont foi dans une croissance économique soutenable. Née aux alentours de 1980, largement adoptée aux Pays-Bas dans les années ’90, la modernisation écologique reste un courant d’idées influent. L’approche actuelle du « transition management» n’est que l’avatar le plus récent de la modernisation écologique. Par ailleurs, plusieurs initiatives non explicitement enrôlées sous la bannière de la « Modernisation écologique », privilégient l’amélioration de la productivité des ressources au travers d’innovations technologiques et de mesures incitatives pour orienter les comportements des marchés. Elles partagent avec la « modernisation écologique » la croyance en un possible découplage de la croissance économique d’avec les pressions environnementales. Amaury Lovins, Ernest Von Weisacker et l’ensemble du « Natural Edge Project » sont les plus connus des adeptes de cette attitude (Smith, Hargrove & Desha, 2010). Néanmoins, nous savons maintenant que même si des gains d’éco-efficience peuvent entraîner un découplage relatif entre croissance de la consommation et augmentation de la pression sur l’environnement en réduisant l’impact environnemental par unité de PNB, ils ne se traduiront pas nécessairement par un « découplage absolu », c’est-à-dire par une diminution des quantités totales d’énergie et de matières premières consommées ou de polluants émis.

Une génération nouvelle d’écologistes radicaux pragmatiques

Les écologistes radicaux sont plus que sceptiques à propos de la capacité du système industriel de s’auto-réformer dans le sens souhaitable et ils le sont tout autant à propos de l’efficacité de politiques publiques qui attaqueraient le problème des limites de la planète en se concentrant uniquement sur les modes de production et les innovations technologiques. Au cœur de chacune des formes du radicalisme écologique, il y a une certitude : c’est qu’aucune solution durable à la crise écologique ne fera l’économie d’une réorientation fondamentale des valeurs culturelles, des normes et des attitudes. Si « efficience écologique » est le maître-mot de la modernisation écologique, suffisance, relocalisation et démarchandisation sont les leitmotives des écologistes radicaux les plus actifs aujourd’hui. L’explosion à laquelle nous assistons d’initiatives émanant de la base telles que les groupes de « Simplicité volontaire », les « Villes en transition », les « S.E.L.,(« système d’échange local ») témoigne de la vitalité du radicalisme écologique et aussi de sa transformation par rapport à ce qu’il était il n’y a pas bien longtemps. Comparé à l’intellectualisme des écologistes radicaux des années ’70 et ’80, le radicalisme vert est devenu plus pratique et concret même si une part importante de ce qui se passe dans la mouvance de la simplicité volontaire reste très intellectuel. En dépit des critiques exprimées à propos du concept de développement durable tant par les tenants du prométhéisme comme Robert Solow, Julian Simon ou Bjorn Lomborg que par des écologistes radicaux comme Serge Latouche et les activistes de la décroissance ; en dépit de son impact des plus modeste sur les politiques publiques au niveau planétaire, l’idée de développement durable n’est pas morte et reste attractive pour nombre d’entre nous. Sa séduction provient de sa capacité à intégrer aussi bien nombre d’éléments du discours de la modernisation écologique que les initiatives des groupes de base de l’écologisme radical. Refusant les oppositions stériles entre croissance et décroissance, anthropocentrisme et éco-centrisme, technologie et spiritualité, il invite à combiner intelligemment efficience écologique, suffisance et démarchandisation. Un consensus est en train de se former autour de l’idée que la transition vers la durabilité passera par des innovations et de changements dans les trois domaines suivants : Le domaine technologique où les produits et services gaspilleurs de ressources naturelles devront céder la place à des équivalents infiniment plus éco-efficients; Le domaine institutionnel où des modes de production et de consommation non marchands trouveront leur juste place à côté du domaine marchand ; Le domaine culturel où des systèmes de valeur et des modes de vie moins dépendants de la consommation de biens matériels seront expérimentés et démontreront leur capacité à garantir un bien-être durable. En d’autres mots, une véritable transition vers une consommation durable passera nécessairement par une combinaison de mesures dans les trois domaines distingués ci-dessus, le mix pouvant varier selon le secteur considéré (alimentation, mobilité logement, loisirs…) ainsi que selon le niveau de développement et les systèmes culturel de chaque société. Ce qui est sûr, c’est que les riches consommateurs des pays industrialisés devront apprendre à consommer moins (suffisance), mieux (de façon plus éco-efficiente) et aussi autrement (dé-marchandisation).