L’idée que les augmentations de salaires vont faire grimper les prix est une crainte courante de l’inflation. Mais plutôt qu’une “spirale salaires-prix”, c’est la vulnérabilité de l’Europe aux chocs mondiaux qui est le facteur clé de l’inflation et ses bas salaires qui exacerbent la crise du coût de la vie.

L’inflation est forte : 8,32 % en rythme annuel aux États-Unis en août, 10 % dans la zone euro en septembre – avec toutefois des disparités : 6,2% en France, 10,9% en Allemagne jusqu’à plus de 20% dans les pays Baltes. C’est inédit pour la zone euro. En réaction, la Réserve fédérale américaine ou la BCE ont décidé de relever leurs taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation, assumant la hausse du chômage qui va en découler. D’autres hausses devraient être annoncées les semaines et mois à venir.

De tels niveaux d’inflation affectent largement le pouvoir d’achat quand les revenus ne progressent pas dans les mêmes proportions. Identifier les mécanismes à l’œuvre afin d’articuler la réponse à apporter avec l’ensemble des enjeux économiques et sociaux est indispensable : le retour de l’inflation n’a fait disparaître ni la nécessité de la transition écologique ni les impératifs de réduction des inégalités ou de soutien aux services publics.

La « menace » inflationniste fait partie des épouvantails des économistes conservateurs et néolibéraux. Ils ont été prompts à s’émouvoir de l’inflation et des pertes de pouvoir d’achat qu’elle pourrait entrainer… Il s’agit avant tout de défendre les épargnants comme les revenus du capital et de préparer les politiques d’austérité. Mais cette vision élude les causes de l’inflation actuelle.

Celle-ci n’a pas pour origine la progression des salaires. Elle est provoquée par la trop grande dépendance des économies à la globalisation (chaînes globales de production mises à mal par la crise de la Covid-19, crise énergétique favorisée par la guerre en Ukraine, mouvements spéculatifs massifs, hausse du coût du transport maritime, etc.) qui a provoqué des augmentations brutales des coûts de nombreuses entreprises. L’inflation observée, mesurée par la hausses des prix à la consommation, prouve que les entreprises parviennent globalement à passer ces hausses de coûts sur les prix, leur permettant de maintenir voire même d’augmenter leurs marges. Mécaniquement, cela réduit la part des salaires quand celle des profits progresse. Pour la zone Euro, Eurostat estime que la part des salaires, qui était déjà faible, va passer de 57,6 % du PIB en 2020 à 54,9 % en 2023, niveau le plus bas depuis le lancement de l’euro. Empêcher les salaires nominaux de progresser au nom de la lutte contre l’inflation, c’est valider ou encourager cette évolution.

Il faut des investissements dans les transports, l’isolation des logements ou l’agriculture comme des règles concernant nos échanges extérieurs cohérents avec ces objectifs. Cela s’articule avec la transition !

Elle est sous-tendue par la politique économique européenne restrictive ; le recul du taux de syndicalisation des travailleurs, la concurrence internationale accrue comme les transformations des marchés de l’emploi (recul du droit du travail, chômage élevé, contrats courts etc.) ou la concentration des grands groupes sont d’autres facteurs explicatifs.

Aussi, les mesures récemment déclenchées pour lutter contre l’inflation sont délétères. Élever les taux directeurs va réduire l’activité et générer du chômage. Comme les prix n’augmentent pas parce que les salaires progressent, c’est une terrible récession qui serait nécessaire pour atteindre l’objectif et cela ne pourra pas être atteint très rapidement.

Certes, pour limiter l’impact sur le pouvoir d’achat pour les ménages, les gouvernements adoptent des mesures budgétaires exceptionnelles. Mais ces aides ne permettent pas un maintien suffisant du pouvoir d’achat pour les plus fragiles et elles bénéficient souvent à tous, sans réduire les inégalités ni favoriser les modifications de comportements (par exemple avec les remises carburant). En outre, ces politiques de subventions ne perdureront pas : les appels à la rigueur budgétaire auront raison de ces mesures exceptionnelles.

Des alternatives sont alors nécessaires. Plutôt que d’attaquer aveuglément l’inflation par une politique monétaire restrictive, il faut réfléchir à la hiérarchie des objectifs de la politique économique et aux moyens à mobiliser pour les atteindre.

La crise inflationniste, qui survient juste après la crise sanitaire qui a souligné l’importance des travailleurs de première ligne, doit permettre de revoir la structure des salaires. La fiscalité doit davantage réduire les inégalités. L’inflation actuelle est en grande partie provoquée par les grands groupes, en particulier dans le secteur énergétique ou des transports : les prix doivent y être administrés lorsque c’est nécessaire et les superprofits lourdement taxés.

Les effets néfastes de l’inflation sur les revenus réels du travail doivent être amortis par la mise en place de mécanismes d’indexation, ce qui est d’autant plus indispensable que l’inflation perdure – mécanismes que de nombreux pays européens ont appliqués par le passé. Ces mécanismes s’avèrent d’autant plus nécessaires que la part des salaires a eu tendance à se restreindre pendant de nombreuses années. L’inflation ne peut être pensée sans analyser le rapport de force entre les salariés et les entreprises : défavorable aux salariés, on voit la part des salaires se réduire dans la valeur ajoutée – c’est précisément ce qu’il s’est passé en particulier en Europe avec une baisse de la part des salaires dans le PIB en faveur de la rémunération du capital depuis les années 1980. En situation conjuguée de poussée inflationniste et de faiblesse du pouvoir de négociation des travailleurs, la mise en place de mécanismes d’indexation est indispensable pour limiter les pertes de revenus réels des travailleurs.

Il faut organiser la réduction de la vulnérabilité de nos économies aux chocs globaux, véritables moteurs de l’inflation actuelle : on doit réduire la dépendance aux intrants importés, en particulier énergétiques. Il faut donc des investissements dans les transports, l’isolation des logements ou l’agriculture comme des règles concernant nos échanges extérieurs cohérents avec ces objectifs. Cela s’articule avec la transition !

S’obstiner à comprimer les salaires n’est pas la solution.