Vattenfall est la compagnie publique de production d’électricité suédoise mais aussi un grand acteur européen du marché de l’énergie. Bien que détenue à 100% par l’état Suédois, les précédents gouvernements avaient laissé la compagnie sans grand contrôle, comme l’a récemment déploré l’office national de l’audit. L’une des conséquences de ce manque de gestion a été le catastrophique investissement dans Nuon qui a provoqué l’augmentation des difficultés financières du géant industriel qui a annoncé en 2015 mettre fin à 1000 emplois. Cette mauvaise gestion a également un impact environnemental lourd, puisque Vattenfall a acquis quatre centrales au lignite et cinq mines de charbon en Allemagne parmi les plus grandes d’Europe.

À raison, le porte parole des verts suédois, Gustav Fridolin, lors de la campagne électorale de 2014, a brandit plusieurs fois un morceau de charbon lors des débats télévisés pour dire: “voici le bilan de la gestion de Vattenfall par la droite”. En effet, de par ses actifs en Allemagne, Vattenfall émet bien plus de gaz à effet de serre (88,4 MtCO₂/an) que toute la Suède (50 MtCO₂/an). Cela représente presque 10% des émissions Allemandes, soit la moitié de l’effort de réduction que le pays doit faire d’ici 2020.

Dès leur entrée au gouvernement, les verts Suédois ont obtenu que l’état joue plus son rôle de propriétaire en augmentant sa présence au conseil d’administration de Vattenfall et en interdisant à l’entreprise de continuer d’étendre son activité minière. Concernant les actifs déjà en possession de Vattenfall, le premier ministre social-démocrate Stefan Löfvén ne veut cependant pas entendre parler de fermeture de mines. Il préfère vendre pour se débarrasser du problème et laisser les Allemands gérer la question seuls ou avec l’éventuel nouveau propriétaire. Clairement, il ne s’agit pas pour lui de protéger le climat mais seulement l’image de son pays. De plus, comme l’entreprise ne va pas très bien financièrement, il préfère faire payer aux générations futures le coût du réchauffement climatique plutôt qu’aux générations actuelles, le prix des lacunes du précédent gouvernement de droite.

Depuis les élections de septembre 2014, les sociaux-démocrates ne bougent pas de leur position. Les verts ont beau œuvrer, ils ne parviennent pas à convaincre leur partenaire, surtout qu’ils sont persuadés de ne pas pouvoir obtenir la majorité au parlement sur cette question. Seul le parti de gauche, Vänsterpartiet, se prononce clairement pour la fermeture des mines, les partis de droite de la précédente coalition sont en effet assez peu prompts à reconnaître leur erreur passée.

Le bilan des Verts

En 2014 et 2015, le sujet de Vattenfall ne prenait pas une très grande place dans les médias dominants. Les cadres de Miljöpartiet ont donc fait le pari que la question disparaîtrait progressivement et que les électeurs oublieraient le morceau de charbon de Gustav Fridolin. Le congrès de Miljöpartiet de 2015 a eu beau voter une motion rappelant que le parti souhaitait la fermeture des mines de charbon et non leur vente, l’intransigeance du premier ministre sur la question ne permet pas aux ministres verts de porter clairement la voix de leurs adhérent-e-s. Il semblerait que le pari est fait que si le bilan des verts au gouvernement est suffisamment bon, le cas Vattenfall sera oublié.

Il faut dire que le bilan gouvernemental des verts Suédois est objectivement bon. On peut citer par exemple la prochaine fermeture de quatre réacteurs nucléaires (sur 10), le budget le plus vert que la Suède n’ait jamais connu, l’interdiction de la prospection minière dans la forêt d’Ojnare sur l’île de Gotland, l’accroissement de l’éolien de 2% à 10% du mix électrique Suédois, les investissements massifs dans l’habitat soutenable, le leadership de la Suède lors des négociations de la COP21 etc

Malheureusement les mathématiques sont implacables, tout ce travail remarquable, même l’objectif de devenir le premier pays développé à atteindre la neutralité carbone, ne pèse pas lourd devant les 1,2 milliards de tonnes de dioxyde de carbone du charbon de Vattenfall. C’est en tout cas la conclusion des membres du congrès de Miljöpartiet mais aussi des nombreuses associations environnementales. L’image du parti est terriblement mise à mal par cette affaire. Jordensvänner les amis de la Terre vient de nommer Miljöpartiet pour son prix du Greenwashing 2016, Greenpeace reproche publiquement au parti son manque de parole, PUSH Sverige attaque le parti sur les réseaux sociaux, la plus grande association environnementaliste suédoise, Naturskyddsföreningen, envoie même des avertissements aux verts suédois. Chaque jour, des universitaires, des intellectuels, des fonctionnaires, prennent la plume dans les médias nationaux pour contredire les ministres verts qui disent n’avoir pas les moyens légaux d’agir.

Bref les écologistes suédois sont dans une situation très tendue avec leur base électorale, ce qui se traduit également par des sondages désastreux. Avec à peine 0,5% d’intention de vote au-dessus du barrage de 4%, il n’est plus exclus que les verts Suédois ne fassent plus partie du prochain parlement en 2018. Les mauvais sondages s’expliquent aussi par d’autres facteurs que le seul cas Vattenfall mais il est évident que le mécontentement de la base réellement engagée est très problématique.

Le problème vient d’escalader d’un cran après que Vattenfall a demandé le 18 avril au gouvernement l’autorisation de vendre son charbon pour environ deux milliards d’euro à une compagnie Tchèque: EPH. Sandbag Climate Campaign a révélé que cette compagnie, qui repose sur un montage fiscal compliqué et largement hébergé dans des paradis fiscaux, n’a aucune charte environnementale et prévoit même d’étendre l’exploitation minière, ce contre quoi Vattenfall s’était pourtant engagé.

Pourtant la majorité de la population Suédoise est en faveur de la fermeture des mines de charbon, les ONG, l’Église de Suède, de nombreux intellectuels et même certains mouvements liés au parti social-démocrate aussi. Alors pourquoi Miljöpartiet ne prend pas la tête de la contestation sur cette question, comme il l’avait fait l’an dernier sur la question du non renouvellement des accords militaires avec l’Arabie Saoudite? Cela avait alors permis de faire fléchir l’allié social-démocrate. Une des raisons est que, plombé par une offensive médiatique violente contre plusieurs de ses cadres, Miljöpartiet a perdu de sa confiance en soi et de sa capacité à peser dans le débat.

Un des problèmes vient probablement du silence complet des verts Allemands sur la question. Alors que le vice chancelier social-démocrate Allemand, Sigmar Gabriel, a clairement exprimé dans les médias suédois qu’il était opposé à la fermeture des mines, le silence des Grünen, laisse à penser à l’opinion suédoise que l’Allemagne est unanime sur le sujet. Ende Gelände prouve que cela n’est bien évidemment pas vrai mais l’absence des Grünen dans les médias Suédois est incompréhensible. Bien sûr qu’il faut manifester sur le site de la mine mais pourquoi ne pas intervenir en Suède, là où sont prises les décisions? Le Pati Vert Européen a récemment commencé à communiquer sur la question en publiant après le Conseil d’Utrecht une discrète lettre sur leur site Internet. Mais où sont les grandes figures de l’écologie européenne alors qu’il s’agit de l’enjeu climatique le plus important à l’échelle de l’Europe sur lesquels les verts ont une chance d’action directe? Le rôle des verts européens devrait être d’européaniser ce débat et de rappeler à l’opinion publique que le rapport du GIEC explicite que pour contenir le réchauffement climatique à 2°C, il faut conserver 80% des réserves fossiles dans le sol. Si un gouvernement européen avec six ministres verts n’arrive pas à faire cela, alors comment convaincrons-nous jamais les électeurs européens que les écologistes portent les solutions contre le réchauffement climatique?

Au-delà des dossiers nationaux

Le cas Vattenfall doit être vu comme un défi pour le Parti Vert Européen. Peut-être est-il temps pour le PVE d’être plus actif dans l’établissement de collaborations bilatérales entre ses membres. Entre les verts Allemands et Suédois pour ce cas précis mais également entre tous ses membres de façon générale. Le PVE pourrait aussi jouer un rôle pour élever le débat sur la question du réchauffement climatique au niveau européen. Il n’est plus possible de se satisfaire d’objectifs nationaux sur lesquels chaque parti doit travailler, il nous faut une collaboration Européenne. Nous ne pouvons pas continuer à reprocher aux institutions européennes de faire toujours trop peu et trop tard, si nous-mêmes ne sommes pas en mesure de nous entraider, surtout lorsque le climat et notre réputation collective sont en jeu. Il est injuste de laisser les verts suédois affronter seuls une bataille qui nous concerne tous.

Il y a d’autant plus urgence à ce que les verts européens s’intéressent à Vattenfall, qu’il existe une deuxième affaire tout aussi explosive. Suite à l’annonce par le gouvernement Allemand de la sortie du nucléaire et du calendrier de fermeture des centrales, Vattenfall s’est estimée lésée dans ses bénéfices. Profitant de l’existence d’accords bilatéraux entre la Suède et l’Allemagne, Vattenfall a commencé une procédure contre l’état Allemand pour obtenir 4,7 milliards d’euro de compensations. Ce procès n’a pas seulement lieu devant les tribunaux Allemands mais également devant un tribunal arbitral de l’OMC. Le “procès” ayant lieu à huis-clos, le Parlement Allemand n’a pas accès au dossier et ne peut s’assurer que le gouvernement fait réellement tout pour défendre ses intérêts. Le fait qu’une entreprise publique d’un état européen attaque en justice une décision démocratique d’un autre état européen est profondément choquant et doit interpeller tous les écologistes européens. Nos prises de position contre les tribunaux arbitraux prévus par CETA et TTIP seront totalement ridiculisées si une procédure judiciaire sur laquelle des ministres verts ont un pouvoir d’action devait compromettre la transition énergétique Allemande.

Vattenfall pourrait donc bien devenir le symbole de l’échec des écologiste européens à collaborer et s’entraider ou au contraire la preuve qu’en œuvrant ensemble il est possible de faire émerger la transition écologiste que chacun essaye de faire dans son pays.