L’identité collective construite sur une vision du monde qui n’existe plus est vulnérable. L’Europe, malgré sa complexité historique et sa richesse, est confrontée à un tournant post-occidental dans sa domination mondiale. Les plans de défense et d’énergie, en particulier ceux négociés avec des régimes autoritaires, compromettent les projets d’autonomie stratégique de l’UE. Le non-alignement pourrait-il être la voie à suivre pour sortir des fréquentes impasses politiques dans lesquelles se trouve l’UE ?

De quoi l’Europe est-elle le nom ?

Pour un Européen, il y a presque quelque chose d’intellectuellement et politiquement choquant à se poser cette question. Toutes les cartes, les représentations classiques du monde et a fortiori celles en vigueur dans les salles de classe, les salles de presse et les ministères européens le montrent : l’Europe est le centre du monde.

Aux yeux des Européens, même quand ils la critiquent, même quand ils en rejettent la forme politique actuelle, l’Europe est une chose merveilleusement unique. Elle est le continent des lumières, la civilisation où ont éclos et se sont épanouies selon les siècles, la démocratie, la liberté, les sciences, l’égalité, l’humanisme, les valeurs modernes… L’Europe est le continent qui a unifié la planète, à coup de grandes découvertes, de scientifiques audacieux, de colonisation criminelle, d’exploitation effrénée des ressources, de commerce mondial et de guerres toutes aussi mondialisées. C’est d’Europe que sont parties les populations blanches et chrétiennes à l’assaut de mondes qui n’étaient nouveaux que pour elles. C’est en Europe que sont nées les formes modernes de l’organisation de la cité en États-nations jaloux de leurs frontières, de leur culture et de leur souveraineté, et les règles qui régissent les relations internationales entre ces entités.

L’Europe a en l’espace de deux siècles dominé, ordonnancé, aménagé, remodelé le monde, à son image.

Mais ça c’était avant. Aujourd’hui, le monde n’est plus du tout européen. Tant qu’il était à la rigueur occidental, les Européens pouvaient encore se bercer de l’illusion d’en être restés des acteurs majeurs. A l’abri du parapluie nucléaire américain, ils pouvaient vivre leur rêve kantien de paix perpétuelle d’une union sans cesse plus étroites entre les peuples, et la poursuite d’une paix et prospérité partagées entre les Etats membres de la Communauté européenne. Son niveau de richesse, son expérience historique, sa puissance économique et commerciale assuraient à l’Europe une place prépondérante dans le concert mondial, malgré l’écrasante présence des Etats-Unis à la tête du monde dit « libre ».

Mais ça aussi, c’était hier.

Après une décennie de doutes existentiels et de crises successives, la crise sanitaire et la découverte de dépendances stratégiques vitales à des maillons spécifiques des chaines de valeur mondialisées qu’elle avait pourtant elle-même mise en place ont secoué les certitudes de l’UE. Depuis l’agression russe sur le territoire ukrainien, la tectonique mondiale lentement remise en marche depuis la fin de la guerre froide s’est rapidement accélérée. En Asie, en Afrique, en Amérique latine, dans le monde arabo-musulman, de profonds mouvements culturels et politiques, l’affirmation de nouvelles puissances économiques, la sape patiente puis de plus en plus agressive de l’ordre mondial par des puissances révisionnistes ont fini par faire basculer l’Europe dans une autre réalité. Celle d’un monde post-occidental. Un nouveau « nouvel ordre mondial » selon les mots de S. Lavrov à l’Assemblée des Nations Unies le 23 septembre 2023.

Un ensemble de puissances dites « émergentes » défendent une vision alternative des équilibres du monde.

Sous l’impulsion de Pékin qui proclame son ambition d’être la plus grande puissance mondiale en 2049 pour fêter le centenaire de sa révolution communiste, et de la Russie dont le président V. Poutine ne s’accommode plus du rôle subalterne réservé à son pays, un ensemble de puissances dites « émergentes » défendent une vision alternative des équilibres du monde. Rompant avec l’ordre hérité de l’après-guerre froide, ces « BRICS » ont progressivement évolué d’une coopération informelle et stratégique qui visait à renforcer leur influence collective, à des actions concertées contestant frontalement la domination occidentale. Y compris par des opérations de déstabilisation plus ou moins assumées dans les zones d’influence historiques, comme le Sahel où la France subit le contrecoup d’une redoutable guerre d’influence menée par la Russie et son bras armé le groupe Wagner.

Avec 31,5 % de la richesse mondiale, ces BRICS pèsent désormais en 2023 plus que le G7 – une tendance qui devrait continuer à s’accentuer dans les prochaines années, avec leur élargissement progressif. De sommets officiels en forums de coopération, ils ont aussi mis en place en 2015 la « Nouvelle banque de développement ». Alternative à la Banque Mondiale et aux institutions financières dominées par les occidentaux, cette banque doit financer des projets d’infrastructure et de développement dans les pays membres et dans d’autres économies émergentes. Elle ambitionne aussi de « dédollariser l’économie mondiale » principalement en favorisant les opérations en monnaie locale.

Le paradoxe de « l’autonomie stratégique en déclin »

Avec leur plaidoyer pour un monde « multipolaire », les BRICS soulignent combien à leurs yeux, le multilatéralisme des décennies précédentes n’était au fond que le voile hypocrite dissimulant mal la domination d’un pôle unique. Les difficultés des pays occidentaux soutiens de l’Ukraine contre son agresseur russe à rallier au-delà de leur habituelle clientèle témoignent non pas d’une « nouvelle bipolarisation », comme aiment se la représenter les stratèges étatsuniens, toujours marqués par les réflexes rassurants de la guerre froide, cette fois entre démocraties et autocraties – mais d’une réelle position de « non-alignement », dont l’Inde et le Brésil, fort soucieux de leur équidistance envers Washington et Pékin offrent les meilleures illustrations.

En conséquence, dans l’économie mondiale comme sur les théâtres d’opération lointains, partout, l’influence collective de l’Europe et individuelle de ses États-membres reflue. L’explosion de violence au Proche-Orient venue marquer le cinquantième anniversaire de la guerre du Kippour par les massacres horrifiants de civils israéliens, auxquels l’État hébreux a répondu par un déchaînement infernal de métal hurlant sur les populations palestiniennes a encore plus souligné la marginalisation de l’UE. La cacophonie générale à propos de l’éventuelle suspension unilatérale des fonds européens à destination de la Palestine, ajoutée aux intempestives manifestations de soutien inconditionnel au gouvernement d’Israël par la présidente de la Commission ont achevé de confirmer que l’Europe était évidemment un financeur, mais certainement pas un décideur dans la région.

Même dans son voisinage proche, où son attraction culturelle, ses programmes de financement et la perspective d’élargissement devaient lui garantir une influence prépondérante, l’UE subit le contrecoup de ses atermoiements bureaucratiques, de ses frilosités politiques et de la concurrence stratégique directe de Pékin ou Moscou – voire des pétromonarchies ou de la Turquie néo-ottomane.

L’UE subit le contrecoup de ses atermoiements bureaucratiques.

Pourtant, ce recul général est un paradoxe. Car il intervient au moment même où l’Union européenne ne cesse justement de proclamer son intention de développer son « autonomie stratégique ». Au moment où elle rompt avec ses naïvetés complaisantes à l’égard de partenaires devenus rivaux. Mais ce qui ressort des réflexions stratégiques institutionnelles à coup de papiers sur l’Indopacifique, le rapport à la Chine ou les relations avec l’Afrique, c’est combien les contours et la substance de cette autonomie stratégique restent encore très flous. A part l’affranchissement plus ou moins réaliste et réussi de certaines interdépendances économiques et énergétiques, on peine à saisir la direction dans laquelle l’UE entend développer son autonomie – et ce qu’elle entend par là.

Des relations de défense et d’énergie compromises

Au contraire, c’est plutôt le renforcement de son appartenance à la sphère d’influence américaine qui semble se dessiner. Fort éloquent, c’est dans l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord, plutôt que dans l’article 42-7 du TUE que Suède et Finlande ont décidé de placer leur confiance et leur sécurité nationale face à la menace russe. De même, la sécurité des approvisionnements énergétiques de l’UE a été retirée des mains de Gazprom et du Kremlin, mais elle dépend désormais fortement des producteurs américains de LNG – ainsi que du Qatar, financier de certains mouvements terroristes, ou des champs gaziers d’Azerbaïdjan, ce qui aura compromis par ailleurs la capacité de l’UE d’agir contre ce fournisseur vital lorsqu’il déclenche la conquête et le nettoyage ethnique du Haut-Karabagh arménien, nourrissant le procès en inconséquence de sa « politique étrangère des valeurs ».

Profitant du nouveau discours en vigueur à Bruxelles, Berlin ou Paris, les Etats-Unis tentent aussi d’embrigader leur alliés européens dans leur propre politique de découplage d’avec la Chine. Avec succès, comme en témoigne l’adoption par les Pays-Bas de la politique américaine d’embargo sur les exportations vers la Chine de semi-conducteurs et de composants stratégiques.

Au fond, le soulagement né du changement d’administration à Washington en janvier 2021 aura été de bien courte durée : l’incertitude stratégique, croissante ces dernières années, est loin d’avoir diminué pour les Européens. L’administration Biden est certes plus polie que celle de Trump, dont le retour est une hypothèse devenue sérieuse. Mais elle défend les intérêts, économiques, commerciaux, industriels et militaires, américains avec le même réalisme brutal – comme l’ont constaté un peu inquiets les Européens au moment de la mise en place de l’Inflation Reduction Act. D’une certaine manière, les faux-semblants d’une relation transatlantique compliquée ont même aggravé les difficultés pour l’Union européenne et ses membres à trouver leur place dans un environnement plus conflictuel que jamais, comme le soulignent la débâcle occidentale en Afghanistan et le fâcheux épisode de la rupture du contrat militaire franco-australien, au bénéfice d’une alliance AUKUS qui rappelle les politiques de containment de la guerre froide. La guerre en Ukraine et le conflit au Proche Orient ramènent, malgré eux mais dominants, les Etats-Unis sur des théâtres d’opération où l’Europe prend de plein fouet la réalité des limites de ses outils traditionnels de politique étrangère : les financements et le droit.

Dans ce nouvel environnement stratégique volatile et menaçant, que son Haut-Représentant avait maladroitement qualifié de « jungle », peuplée d’un bestiaire un peu insultant pour ses partenaires, l’Europe cherche sa voie – et sa voix. Après avoir parié sur les interdépendances et l’intérêt commercial pour garantir la paix dans le monde, elle cherche désormais par tous les moyens à s’en extraire, dans une confusion sémantique générale entre « autonomie » et « autosuffisance ». Certes, la transition énergétique au cœur du Pacte Vert et des politiques énergétiques européennes est censée à terme résoudre la contradiction entre valeurs et intérêts, en réduisant la dépendance de l’UE aux importations d’énergies fossiles. Mais même dans ce domaine subsistent des dilemmes. Car les précieux matériaux critiques indispensables aux technologies vertes sont majoritairement importés, principalement de Chine. Malgré les efforts pour diversifier, miner, recycler, la fin de l’interdépendance n’est pas pour demain.

Langage du pouvoir

Depuis l’invasion de l’Ukraine par Poutine, l’UE a rompu avec son irénisme intrinsèque et son approche idéaliste-constructiviste des relations internationales. Elle tente de renouer avec le langage de la puissance. Sans savoir comment faire. Car ce retour à une vision réaliste, thucydidienne presque, des relations internationales se heurte au défaut structurel de la construction européenne : elle est une entité politique hybride, dont l’action extérieure n’est possible que si toutes les composantes sont alignées – comme un corps dont les membres pourraient désobéir au cerveau. Et même ses représentants restent marqués par leurs cultures politiques et stratégiques nationales – exemple flagrant, c’est moins la position de la présidente de la Commission européenne que celle d’une femme politique allemande, ancienne ministre de la Défense, qu’a traduit la réaction de Ursula von der Leyen à la tragédie du 7 octobre.

Le langage de la puissance est réservé aux acteurs autonomes. Contrairement aux États unifiés et souverains qui peuvent développer, afficher et augmenter les attributs de leur puissance en défense de leurs intérêts, l’Europe doit en permanence s’assurer de la définition commune de ces intérêts et de l’accord sur les moyens de les faire valoir. Ce n’est pas un hasard si l’UE met autant l’accent sur la dimension morale de son action extérieure. Les valeurs sont plus abstraites que les intérêts. Elles permettent des accords de principes qui masquent les divergences de perception des menaces, ou les intérêts contradictoires.

Repenser le non-alignement

La question se repose donc en termes existentiels : quel est le destin de l’Europe ? Que veut-elle être ? Le Robin d’un Batman américain, petit morceau vieillissant d’occident, condamné au déclin et à suivre Washington sur tous les dossiers planétaires ? Ou bien le petit Finistère du grand continent eurasiatique, dont Moscou et Pékin sont désormais les centres névralgiques ? L’alternative à une « OTANomie stratégique » alignée sur le leadership américain et ses valeurs, défendus par les enthousiastes transatlantiques, doit-elle se résumer à embrasser avec admiration les régimes autoritaires et cette fameuse « civilisation eurasiatique » inspirée par l’idéologue du Kremlin Alexandre Douguine et propagée par les droites radicales européennes ?

Ces moments de crises internationales et d’incertitude stratégique environnante doivent conduire les Européens, à repenser leur place dans le monde. Il est temps de donner un contenu original et modernisé à une notion forgée dans le contexte anticolonial et bipolarisé de la Guerre Froide : le « non-alignement ». Trop souvent confondu avec la neutralité craintive des petites puissances ou le cynisme opportuniste des puissances émergentes, le non-alignement peut s’enraciner dans l’expérience spécifique de l’Europe et développer dans le monde une action originale et efficace.

La première de ces expériences européennes, c’est sa sagesse historique. Comme une grande roue taoïste mêlant les polarités antagonistes, l’Europe est une construction de valeurs dont chaque occurrence historique trouve toujours son contraire. Unie et divisée, humaniste et esclavagiste, rationnelle et romantique, universaliste et coloniale, viriliste et virginale, l’Europe est une civilisation de couples opposés – et l’UE la construction en miroir d’un passé rejeté et sublimé. Cette capacité à embrasser la tension entre les choix humains, à rechercher les équilibres dynamiques d’une sortie par le haut des conflits, à faire coexister la diversité et la contradiction au cœur de sa vision du monde est fondamentale. L’Europe sait qu’il y a plus d’une facette à chaque situation, que l’intransigeance sur les valeurs est aussi dangereuse que le cynisme des intérêts purement matériels. Les Européens savent que la rencontre des perspectives éclaire le monde d’une lumière plus juste, plus proche de la vérité. C’est dans cette conscience des équilibres que peut s’enraciner une politique de non-alignement débarrassée des soupçons de double-standards qui empoisonnent encore les positions européennes et affaiblissent son action.

La deuxième, c’est la valeur du temps long. Construction encore jeune à l’aune des vieilles nations séculaires, voire de civilisations millénaires, l’UE est la manifestation d’une aspiration profonde et ancienne à la convergence, à l’unité, à la paix. Unies par le ciment des cimetières et travaillant leurs histoire partagée, les nations d’Europe ont accepté d’entrer dans un processus de réconciliation et de pacification. Renversant Clausewitz, l’Europe a fait de la politique et du droit la continuation de la guerre par d’autres moyens. Elle transforme les ennemis en concurrents, puis en compagnons. En hommage à un célèbre Renard, les peuples d’Europe ont entrepris un apprivoisement mutuel, qui demande une vigilance et un entretien de tous les instants. Cette expérience de la réconciliation est une des plus précieuses leçons de paix que l’Europe puisse offrir encore au monde. Pourvu qu’elle n’oublie pas le chemin parcouru et qu’elle n’exige pas de ses partenaires de faire en un simple programme quinquennal de financement les progrès qu’il lui fallut des siècles pour accomplir.

La troisième et dernière expérience historique structurante, c’est celle du pouvoir. Il y a une autre façon de concevoir la raison d’être de la construction d’une Europe politiquement intégrée que celle d’un simple changement d’échelle de nos États modernes. Le destin de l’UE n’est pas de bâtir une nation européenne capable de rivaliser avec l’empire américain ou la puissance chinoise. Il ne s’agit pas seulement de rehausser la voix de petits États noyés dans l’immensité de la mondialisation. Le non-alignement européen s’ancre aussi dans une forme originale de vivre et penser le pouvoir.

Le pouvoir grâce à l’intégration et à l’action

Pour comprendre cela, il faut se reposer la question du sens, celle de la raison d’être de la construction européenne : l’élargissement de la démocratie par-delà les frontières historiques de l’État nation, le développement d’une démocratie transnationale à l’échelle d’un continent. Multiplicité et complexité des jeux de pouvoir, l’Europe sait l’importance des acteurs non-institutionnels, la vitalité cruciale des sociétés civiles, la valeur des liens et de l’expérience démocratique. L’engagement auprès des entités non-étatiques et des autorités décentralisées, souvent infranationales, permet de contourner les obstacles de la politique internationale et de travailler en profondeur la matière humaine des peuples, indépendamment du monopole de leurs représentants.

Taoïste, patiente et décentralisée, l’UE peut donner un sens européen au non-alignement.

Taoïste, patiente et décentralisée, l’UE peut donner un sens européen au non-alignement si elle accepte d’en revendiquer le sens et d’en porter le fardeau. Car au fond, cette triple expérience est déjà bien vivante et bien présente dans l’action quotidienne de l’UE. Le grand défi qui se pose désormais à elle, c’est d’en faire un levier de puissance qui ne le cède en rien aux manifestations classiques de la force brute. Montrer la force des doux et la puissance des non-violents. Parce qu’elle ne domine plus le monde, l’Europe doit repenser sa façon d’y intervenir. C’est une gageure, tant l’appareil militaire américain imprègne sa défense et la culture stratégique de certains de ses Etats-membres – quid du parapluie nucléaire français, par exemple ? A termes, le découplage avec les Etats-Unis devra aussi intervenir sur d’autres domaines que la seule confrontation entre intérêts commerciaux. Ainsi, face au constat de l’échec contreproductif du régime de sanctions appliquées à la Russie, devenues un accélérateur de divisions mondiales, l’UE eût pu imaginer une autre approche moins simpliste, mêlant le soutien militaire, matériel et financier à l’Ukraine, à une réelle distanciation avec les Etats-Unis et des négociations plus globales pour détacher la Russie de certains de ses soutiens.

De même que le non-alignement n’est pas la neutralité, la non-violence n’est pas la soumission à la force. Le grand défi pour l’UE c’est donc de renforcer l’arsenal de ce non-alignement – par exemple avec un outil militaire pacifique et démocratiquement contrôlé. C’est probablement la seule condition à laquelle une quelconque armée européenne serait envisageable : celle d’une force d’interposition au service du droit international –des casques non pas bleus, mais bleu-étoilé. La vraie non-violence ne protège pas de l’hostilité et des coups. Il faut être prêt à risquer sa vie pour faire triompher la force du faible.

Le grand danger pour les Européens réside dans leur confort atavique matériel et moral, leur vieillissement général et leurs illusions d’être encore au centre du planisphère. Dans un monde définitivement post-occidental, l’Europe doit réinventer une autre façon d’être.

Elle en a les moyens matériels et spirituels. En aura-t-elle la volonté et l’intelligence politiques ? C’est la question existentielle que nous pose ce siècle tragique.