La montée de l’extrême-droite et du populisme en Europe interpellent depuis plusieurs années les mouvements et organisations politiques. Les analyses pleuvent pour tenter d’expliquer cette situation. Nous nous trouverions dans un contexte où nos démocraties sont entrées en crise profonde, prolongeant les crises sociales et économiques qui nous touchent depuis 2008.

Dans le même temps, de nombreuses initiatives locales, rassemblées notamment sous le label des initiatives de transition, se développent aussi bien en Belgique que dans le reste de l’Europe. Ces projets entrent en rupture avec la manière traditionnelle de penser les actions locales et économiques, voire politiques. Ces débats autour des utopies et ces projets de changements structurels de la société témoignent d’une volonté de proposer « autre chose ». La démarche  redonne un souffle, une envie, un souhait de s’articuler autour d’un mieux collectif.

Face à cela, le monde de l’écologie politique semble perdu. Pour de nombreux écologistes, la période actuelle est celle d’un trouble profond face à l’incapacité de peser sur le réel. Pourtant, en changeant notre regard sur nous-mêmes, nous nous trouvons face à une formidable occasion de nous réinventer et de renouveler notre projet politique. Il nous faudra, toutefois, parvenir à oser certains débats aussi bien en interne que face aux interlocuteurs qui nous entourent. Tentons ici de lancer quelques pistes.

People Have the Power

Il est tout d’abord nécessaire de comprendre que nos sociétés ont changé de logiciel. Ce n’est pas tant l’agrandissement d’une fracture entre élus et électeurs qui serait à pointer du doigt, mais sa réduction : les informations circulent, le contrôle est constant, les attentes et déceptions nombreuses, renforcées par l’utilisation de nouveaux médias permettant de démonter les mensonges ou oublis de certains représentants. C’est, en quelque sorte, une démocratie « logiciel libre » qui aujourd’hui se met en place. L’adhésion à un projet politique ne se fait plus de manière verticale, avec une militance au sein d’un parti ou d’un mouvement politique. Elle se réalise de manière horizontale. Un même citoyen peut  adapter son vote à chaque élection, suivant l’actualité ou les ressentis qu’il traverse dans sa vie. L’exigence de participation, elle aussi, évolue. Il n’est ainsi plus acquis qu’une grande partie de la population souhaite participer plus aux décisions, suivant la mise en place de mécanismes de démocratie participative.

La principale tâche représente dès lors, tout d’abord, la (re)socialisation des personnes. Un des principaux moyens pour y parvenir est celui de la liberté, à savoir celui qui permet de reprendre du pouvoir sur sa propre vie. La notion de liberté est ainsi fondamentale dans le cadre de l’écologie politique. Aussi bien individuelle que collective, elle fonde l’adhésion à la nécessité de transformation de la société. Elle permet également de se départir des dangers que représentent l’imposition des restrictions que le réchauffement climatique et l’épuisement des ressources finiront par représenter. Elle suppose, enfin, la mise en route d’un discours et d’un dialogue sortant de la sphère des experts et des élites pour atteindre celle de la société, des citoyens et des électeurs.

Or, les libertés aujourd’hui s’opposent entre elles. Le libre choix de son avenir, de ses formations, de ses emplois n’est ainsi plus possible. Le néolibéralisme, dominant, est devenu profondément liberticide. Le dogmatisme économique défendu par ses partisans finit par verser dans une restriction de plus en plus profonde des libertés individuelles. Surveillance globale, dérégulation, austérité mortifère pour les espaces sociaux deviennent des normes martelées au nom du fanatisme du « laissez-faire » économique.

Le premier travail des écologistes passerait par cette capacité donnée à redevenir à la fois maîtres de nous-mêmes et de notre destin. Il s’agit donc de redéfinir les instruments collectifs permettant l’autonomie à la fois de chacun et de tous, en sortant des considérations à court terme.

Réenchanter La Politique ? Réinventons L’état !

Face à ces dangers, l’écologie aide à la réinvention de la démocratie. L’autoritarisme pointe, en effet, le bout de son nez si rien n’est fait rapidement face aux problèmes environnementaux qui bouleversent et continueront à bouleverser nos sociétés. La difficulté reste, toutefois, dans l’extension d’une participation, censée répondre aux défis démocratiques et environnementaux, face à une population hostile à ces principes. La culture de maximisation des intérêts individuels pèse lourdement sur l’adhésion de parties de la population aux choix cruciaux qui lui seront portés. De même, l’extension de la participation à tous les citoyens n’implique pas nécessairement une participation de tous les citoyens. La défiance, la dépolitisation, l’apathie face à la complexité des questions abordées sont des éléments à prendre en considération. La lassitude, également, de citoyens qui pourraient finalement être désireux de plutôt ne pas participer du tout.

Le rôle à jouer doit se placer dans un projet politique qui vise à la fois à réencastrer l’économie dans la société et à moderniser l’organisation de l’État face aux nouvelles initiatives. Ce débat doit, de toute manière, se tenir à plus ou moins brève échéance : dans un scénario, plus du tout hypothétique de croissance nulle ou très limitée, la question du financement de l’État-Providence va se poser de manière de plus en plus accrue. Basé sur une croissance à 2 %, l’État-Providence traditionnel se retrouve, aujourd’hui, en tension. Pris entre plusieurs logiques concomitantes, à la fois néolibérale et sociale-démocrate, l’idée qui s’installe concernant son avenir est celle d’un allègement des dépenses, par un lent détricotage des mécanismes de solidarité.

L’écologie politique a un rôle important à jouer. Outre la réflexion sur les rapports entre économie et nature, l’apport le plus profond de penseurs de l’écologie politique, tels qu’André Gorz, passe par la question de la réévaluation du travail. C’est bien de désaliénation que notre société a besoin pour parvenir, précisément, à renouveler notre société. Une autre réflexion se place autour des rôles confiés aux sphères privée, publique et autonome. Quelles sont les tâches confiées ainsi à la sphère publique ? Et donc, à l’évolution de l’État-providence en un État social-écologique (tout en reconnaissant les défauts de ce terme) ? Comment, également, continuer à assurer les mécanismes de solidarité entre les citoyens qui s’engagent dans les alternatives de transition, et ceux qui restent en marge ? Ce sont ces quelques points qui devraient faire l’occasion de nouveaux et intéressants débats.

Les Actes Pour Le Faire : Se réengager Collectivement Pour Le Bien Commun

Comment, cependant, parvenir à peser sur le réel ? Là est l’enjeu. L’essentiel de l’action, pour parvenir à combiner les différentes stratégies politiques passe par les dynamiques politiques au sens large. Or, c’est là que se trouvent de nombreux blocages.

Blocage dans les négociations tout d’abord. À moins d’un effondrement global engageant les sociétés occidentales dans un inconnu, les différents éléments de transformation devront se réaliser par l’action politique. Or, la situation politique actuelle des écologistes n’est guère celle de partis majoritaires. Le cas le plus général de participation au pouvoir oblige au compromis politique. Et donc à la définition des priorités à porter et des sacrifices à accepter. Cette réflexion, qui pourrait sembler anodine, est pourtant difficile chez les écologistes. L’exemple francophone belge en atteste. L’opposition entre le parti Ecolo et les mouvements écologistes et environnementaux est souvent une réalité au moment des participations gouvernementales. La participation à un gouvernement est encore souvent perçu par certains comme étant une trahison des principes. Cette attitude pèse sur la capacité à transformer les politiques engrangées en politiques durables. Le flanc est ainsi trop souvent laissé libre aux attaques des tenants du système libéral-productif, qui auront tôt fait de profiter de ces divisions pour démonter les décisions prises. Cette critique sur nos divisions doit cependant être aussi adressée à nous-mêmes. Trop souvent nous négligeons le dialogue avec les mouvements verts, durant nos propres participations. Une tension, durable cette fois, se crée alors pour finir par se concrétiser entre deux postures au sein de la famille verte : « eux » et « nous ».

Ces alliances doivent être repensées, et doivent aller plus loin. Il ne peut plus être possible de faire l’impasse sur l’importance des liens avec les mouvements non écologistes. À moins de se résoudre à rester minoritaires, c’est aussi par ce type d’engagement que la transition et la réduction des besoins artificiels, que les écologistes dénoncent, pourront être atteints.

Les Mots Pour Le Dire : Sortir De La Novlangue

Cet engagement passe par une réappropriation plus forte des concepts écologistes plus « classiques ». Et de leur désintoxication libérale-productiviste. Prospérité, progrès et libertés doivent être réorientés autour du concept de bien-être, et non plus de croissance économique. Débat, droits collectifs, biens communs, métiers, usagers, … sont des termes à revaloriser. Depuis trop longtemps, nos sociétés libérales-productivistes évoluent vers une technicisation accrue des termes et outils sociétaux. Le citoyen est devenu un client de l’État, avec tout ce que cela comporte comme conséquences néfastes : exigence de l’État vis-à-vis de la rentabilité de ce client, obligation de croissance de la productivité pour financer un système économiquement glouton, désengagement de l’État dans les domaines considérés comme inutiles face à cette nécessité de croissance économique.

Mais il s’agit aussi de défendre avec force nos termes qui sont acquis auprès d’une grande partie de la société. Dans un monde désintéressé des enjeux environnementaux, les quelques éléments de rassemblement porteurs tels que « développement durable » ne doivent donc pas être abandonnés. Leur réappropriation passe par une nouvelle pédagogie, jouant à la fois sur l’opposition au cynisme du système et sur l’adhésion la plus large possible autour des rares termes verts appropriés par la majorité. Nous passons encore trop souvent du temps à chicaner, en interne, sur le sens des mots à utiliser. Le risque est, dès lors, de perdre un grand public réceptif à ces termes. Ces idées sont nos idées, à nous de les protéger.

Cet enjeu du discours amène d’ailleurs au deuxième blocage, à savoir la difficulté des écologistes de populariser leur propos. André Gorz soulignait, dans Écologica, la difficulté de traduire l’idée de décroissance à grande échelle. Le principal responsable en sont les résistances au changement. Encore nombreuses, celles-ci sont cependant peu étudiées par les écologistes. La quête de la sobriété ne concerne qu’une minorité. Cette quête ne parle pas encore aux classes précarisées qui restent attachées à des modes de vie et de consommation insoutenables. Trop souvent, le discours des écologistes se construit autour d’une idée de renoncement envers ce pour quoi une majorité de la population a travaillé voire vécu. Cet élément doit être pris en compte dans l’approche adoptée envers le plus grand nombre, si les écologistes souhaitent sortir de leur carcan minoritaire. En outre, comme le soulignait Ulrich Beck, la société qui nous entoure est à la fois particulièrement conservatrice et particulièrement bien informée sur les risques qui l’entoure. Or, malgré la diffusion des informations portant sur les dangers du réchauffement climatique et de l’épuisement des ressources, les comportements d’une grande majorité de la population occidentale ne sont guère modifiés. Si nous voulons parvenir à nous déverrouiller, en tant qu’écologistes, nous devrons donc entreprendre une réflexion quant au discours environnemental porté et quant aux résistances au changement.

Light My Fire

La conjonction des différentes crises, actuelles et à venir, impose un nouveau discours. Face à une crise de confiance, le modèle d’organisation de nos sociétés doit être réinventé. Les libéraux et les sociaux-démocrates sont scotchés dans un modèle qui a dramatiquement échoué, tandis que les marxistes proposent un modèle qui ne modifie en rien les comportements. Il s’agit donc d’un projet fondamentalement différent de celui des partis traditionnels, portés sur la défense du statu-quo.

La principale tâche du discours n’est plus de dire ce que les écologistes ne souhaitent plus mais de dire clairement et concrètement ce qu’ils veulent. C’est cet horizon qui doit aujourd’hui se construire et s’incarner. Et ce discours ne peut se construire qu’en sortant d’une zone de prudence qui, pour certains, est devenue une zone de confort.

La question fondamentale qui va se poser, dans les prochaines années, pour les écologistes, est donc celle de l’élargissement de leur base sociale, et des moyens pour y parvenir. Les projets et propositions des écologistes restent, trop souvent, dans les petits cercles des experts ou des populations œuvrant dans les projets de transition. L’horizon de reconstruction qui s’offre aux partis verts devra pleinement intégrer cette réalité pour parvenir enfin à la dépasser.

Les passerelles doivent dès lors se construire entre les différents espaces. Il s’agit de sortir de l’image négative trop souvent adressée aux partisans de l’écologie politique, en tant que culpabilisateurs ou prônant les interdits. L’enjeu dans les prochaines années est de parvenir à démontrer des effets directs et indirects positifs des politiques écologiques. Et de parvenir à le faire notamment grâce à des alliances avec des acteurs non-verts. C’est de cette seule manière que nous parviendrons à faire se rendre compte la majorité qui nous entoure de l’échec et de l’impasse du système actuel. C’est d’ailleurs ce que nous proposait Lewis Carroll, dans Alice aux Pays des Merveilles : « Mais alors, dit Alice, si le monde n’a absolument aucun sens, qui nous empêche d’en inventer un ? ». Il est temps, maintenant, de projeter cet horizon positif que représente la société verte à laquelle nous croyons.