Faut-il changer l’Europe et les politiques européennes ? Oui, bien sur. Faut-il en changer les institutions et le processus de décision ? Oui, et simultanément si l’on veut que ces institutions servent le projet démocratique et reflètent l’identité et la citoyenneté européenne.

Des modifications institutionnelles profondes sont  en effet indispensables pour faire repartir le moteur européen sur un mode moins intergouvernemental, plus démocratique, plus participatif. Mais il nous faut aussi une Europe des citoyens, de la diversité, partant groupée pour batailler sur les enjeux globaux et environnementaux, construisant des ponts et des collaborations culturelles. On ne peut indéfiniment ignorer les messages répétés envoyés ces dernières années, d’Espagne, de Grèce, mais aussi d’Allemagne (il n’y a pas que les partisans du gouvernement Merkel). Ces demandes sont exprimées de toutes sortes de manières, de façon spectaculaire ou diffuse, non seulement par des occupations, des manifestations ou via les réseaux sociaux, mais aussi par des abstentions ou des votes protestataires aux élections nationales.

 

Un saut fédéral ?

L’Europe a besoin d’une nouvelle loi fondamentale qui redéfinit les missions, les compétences, les modes de prise de décision, la modalité de collecte des ressources dans un texte court et lisible. Sa préparation devra faire l’objet d’une convention, dans une assemblée constituante, au lendemain des élections de mai 2014. Mais la convention que nous appelons de nos vœux devra connaitre quelques solides changements de méthode. Il faudra d’abord que l’on décide, avant même d’entamer les travaux, quelle conséquence aura la ratification ou non de la décision. Il faut que l’éventuelle non-ratification implique que l’Etat membre soit ensuite oblige de choisir : refuser un traité pourrait signifier quitter l’Union, perdre son statut de membre. Il faudra ensuite que la convention soit beaucoup plus ouverte et participative. Elle pourrait ainsi donner lieu a une large publicité de ses travaux via les medias et medias sociaux. En parallèle de ses séances, elle pourrait mettre des citoyens des 28 Etats membres en délibération pour ensuite croiser les points de vue et les recommandations. Cette dimension participative et médiatique permettrait de mettre en évidence les controverses, les contraintes, les complexités. Avoir rendu public et participatif le processus de préparation n’autorisera plus (tout à fait) à réduire ensuite les débats à des caricatures. Transparence et participation prennent du temps. Mais cet investissement en vaut la peine, non seulement du point de vue formel, mais aussi pour irriguer le texte à venir de réalités vécues.

 

Associer les parlements nationaux

Nous devons progresser sur deux voies parallèles.  D’une part, nous devons avoir une vision à long terme d’une Europe intégrée.  D’autre part, nous pouvons avancer en accumulant des expériences de communautarisation européenne. Ainsi, le Traite de Lisbonne permet déjà le renforcement des contributions parlementaires démocratiques aux décisions  européennes. Dans des cas importants, le Parlement européen peut émettre un avis conjointement avec des représentants des parlements nationaux, ainsi qu’avec  les conseils éventuels des représentants régionaux. Cela pourrait se faire sur le plan budgétaire, ce qui n’est pas encore le cas.

Actuellement, dans le cadre du semestre européen, qui détermine, depuis 2011, les procédures pour l’élaboration du budget européen et du cadre des budgets annuels nationaux,  le Conseil des ministres et le Conseil européen (des chefs d’Etat) débattent les propositions de la Commission au début de l’année précédant l’exercice budgétaire concerne sur la base de l’avant-projet du budget en question. Ils définissent alors les lignes directrices pour chaque budget national, qui seront concrétisées par le Conseil des ministres et la Commission, et auxquelles les parlements nationaux doivent se tenir. La Commission conclut a ce sujet des accords contraignants avec les gouvernements nationaux. Lorsque les soumissions budgétaires arrivent dans les parlements nationaux après que toutes ces décisions ont été prises, on se retrouve déjà en automne. Cela laisse peu de marge de manœuvre aux parlements nationaux. Tout a été fixe auparavant par les exécutifs, c’est-à-dire par les administrations nationales et la Commission. Tout cela se décide sans débats publics autour de possibles alternatives,  ni au niveau national ni au niveau européen.

Nombreux sont ceux qui, a Bruxelles ou a Strasbourg, confirment a mots couverts que le droit budgétaire des parlements nationaux est depuis longtemps vide de sa substance. Beaucoup de parlementaires européens pensent qu’il est devenu redondant, parce qu’ils peuvent également représenter leurs intérêts nationaux au Parlement européen. Cette désinvolture est extrêmement dangereuse car elle recèle une hypocrisie et une ambigüité qui entameraient encore plus la crédibilité de l’Union européenne, si elles étaient révélées au grand jour.

En fin de compte, le droit budgétaire reste la compétence centrale des parlements nationaux, aussi bien du point de vue légal que du point de vue politique, de même que dans la rhétorique publique. Il en va non seulement des intérêts nationaux, mais aussi de la participation démocratique qui doit être suffisamment décentralisées pour que les citoyens aient quelque chose a dire. Sinon cette participation ne sera plus que façade, ou bien les parlements nationaux seront réduits a de simples organes d’exécution.

 

Croiser le niveau parlementaire national et européen

Il est possible à la fois de sortir de la situation actuelle d’une intégration européenne exécutive et technocratique et d’éviter le dilemme entre une union politique qui remet l’autorité dans les mains d’un Etat fédéral, d’une part, et une renationalisation (confédération d’Etats), d’autre part.  Une troisième voie consisterait à ce que le Parlement européen invite des parlementaires nationaux à ses discussions et, inversement, que les parlements nationaux invitent des parlementaires européens aux leurs.

Cela leur permettrait de mieux comprendre leurs problèmes, ainsi que les conséquences pour leurs voisins de leurs décisions nationales. Ces parlements nationaux pourraient également discuter bien plus tôt du cadre commun, au sein duquel ils devront décider de leurs budgets nationaux.

Au centre de cette proposition se trouve le croisement des deux niveaux parlementaires (et non la rivalité entre eux ou la création de nouvelles institutions !). C’est tout à fait réalisable dans le cadre des traites existantes.

Par ailleurs, le Parlement de l’Union européenne devrait également prendre une position de contrôle, en lien avec les parlementaires nationaux, en ce qui concerne les décisions du Conseil des ministres et du Conseil européen ; il devrait au minimum avoir droit de veto suspensif. Une telle parlementarisation permettrait d’éviter la domination des Etats forts – notamment de l’Allemagne – qui non seulement va a l’encontre des idées fondatrices de l’Union européenne, mais menace des aujourd’hui de ruiner la crédibilité de l’Union. Il serait en effet fatal que l’Allemagne apparaisse a nouveau comme voulant imposer sa volonté à (presque) tous les autres et ne laisse aucune place effective au débat public au sujet de politiques alternatives.

 

Le long chemin de la citoyenneté européenne

Ce renforcement du parlementarisme devrait aller de pair avec le développement d’outils de démocratie participative, incluant des citoyens non organises.  Le plan D44 lancé par la Commission européenne en 2005 au lendemain du « non » français et néerlandais sur le Traité constitutionnel était ambitieux et intéressant.. L’initiatrice, la commissaire suédoise Margot Wallstrom, y croyait et y a mis une belle énergie. Mais malgré son statut de vice-présidente de la Commission, elle était en charge… de la communication. Autrement dit, l’inclusion des citoyens, le développement de la citoyenneté et de la participation, le dialogue avec la société civile étaient vus comme des instruments de la communication de l’institution, et non comme de puissants leviers pour discuter, infléchir ou évaluer les politiques.

Un tel choix condamnait ce projet à rester… de la communication et à ne jamais faire entrer ces nouveaux dispositifs dans le cœur du système de décision. La Commission européenne a remis cela, cette fois sous l’égide de la commissaire Viviane Reding, en déclarant 2013 « Année européenne des citoyens ». Un an avant les élections européennes, c’était prendre le risque de réduire la citoyenneté européenne à un gadget pré-électoral. Il est vrai qu’il s’agissait de se limiter a l’information des citoyens européens sur leurs droits, entre autres, comme par hasard, leur droit de vote. Mais aussi comme en témoigne le site de la Commission, d’englober un peu de tout dans les Join the debate. On est cependant bien loin d’une alternative à ce qui nourrit la crise existentielle que traverse l’Union européenne. On est bien loin aussi de ce qui pourrait contrer les montées populistes, souverainistes et eurosceptiques. L’Union doit beaucoup plus a ses citoyens que des droits et une année pour en parler.

« Nous n’unissons pas des Etats mais des hommes », disait Jean Monnet. C’est tout l’enjeu de la citoyenneté européenne, qui implique une vraie prise en compte juridique, dans les traites, pour conférer des droits aux citoyens européens. Cela a été le cas, pour la première fois, dans le traite de Maastricht : « Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un Etat membre ». Le traite de Lisbonne l’a répété et amplifie dans son article 10.3 donnant  « le droit a chaque citoyen de participer a la vie démocratique de l’Union ».

Il précise aussi que « les décisions sont prises aussi ouvertement et aussi près que possible des citoyens ». Il met enfin en place une nouvelle forme de participation, l’initiative citoyenne européenne (ICE). C’est ce qu’il reste comme outil concret des ambitions portées par les membres de la Convention qui a préparé le projet de Constitution pour l’Europe en 2003. Un chapitre entier y avait été consacré à la citoyenneté et la démocratie participative, c’était une première. Il prévoyait qu’1 million de citoyens pouvaient imposer a la Commission de soumettre au Parlement et au Conseil une proposition sur des questions sur lesquelles ces citoyens considèrent qu’il est nécessaire de légiférer.

 

Initiatives et délibérations citoyennes

Apres le passage sous les fourches caudines des chefs d’Etat, il ne reste du  processus d’initiative citoyenne européenne qu’un dispositif par lequel les citoyens suggèrent et la Commission garde le dernier mot. Il aura fallu prés de deux ans à la Commission des Affaires constitutionnelles du Parlement pour traduire ce projet en règlement opérationnel. Reconnaissons que le texte final tel qu’adopté n’est pas  la portée d’un simple groupe de citoyens. A ce jour, seize initiatives ont été lancées et sont en cours de signatures. Les propositions ne manquent pas et laissent transparaitre pas mal d’aspirations aussi diverses que Fraternité 2020 (éducation et mobilité), Right2water (le droit a l’eau), Let me vote (le droit de vote des étrangers) et d’autres, tournées plutot vers le consommateur comme Single Communication Tariff Act (concernant la tarification des communications téléphoniques). Elles  montrent que, contrairement a la menace qui avait ete brandie, y compris pour raboter l’initiative, ce nouvel instrument n’a pas été capturé par des lobbys organises. Cette voie citoyenne doit leur apparaitre comme bien trop lente et aléatoire au regard des stratégies autrement plus efficaces qu’ils déploient pour influencer les législations européennes…

Les pétitions restent, elles aussi, un instrument de pression efficace. Elles n’exigent pas de nombre de signatures minimal et le Parlement n’est pas sommé d’y répondre. C’est la Commission parlementaire des pétitions qui est chargée de les « traiter ». Un exemple qui a montré la force des pétitions et le succès du « lobby citoyen » est le dossier ACTA. En juin 2012, l’organisation Avaaz a remis en Commission Pétitions un texte appelant à rejeter l’accord, signé par 2,5 millions de citoyens en quelques semaines. Combinée aux campagnes téléphoniques et de mailing des citoyens à destination des eurodéputés, aux nombreuses mobilisations sur le terrain, la pétition a fait le poids : elle a renversé une majorité au départ favorable au traite ACTA.

Enfin, un autre instrument, pourtant particulièrement adéquat et citoyen, reste très sous-utilisé: la délibération citoyenne via les panels de citoyens ou conférences de consensus. Ce dispositif a ceci d’utile qu’il est a la fois efficace par l’exercice de citoyenneté et d’intelligence individuelle et collective qu’il permet, ainsi qu’en raison de la qualité des recommandations qu’il produit. En effet, quel que soit le sujet, la mise en discussion du conflit de valeurs inhérent à la politique permet à chacun des participants d’apprendre énormément sur les solutions possibles à un problème donné. Les recommandations qui en découlent sont souvent d’un grand intérêt. Le panel citoyen est particulièrement pertinent a l’échelle transnationale. Mettre en présence des citoyens de différentes origines, nationalités et cultures, en dehors du cout que représente l’interprétation dans leurs langues, est du plus haut intérêt pour faire naitre le sentiment d’appartenance dans la diversité. La conférence de consensus organisée dans le cadre de l’Agora citoyenne en 2010 autour des questions de pauvreté a été un moment de grande intensité. Vingt-sept citoyens de plus de 60 ans, vivant avec moins de 1 000 euros par mois, y ont parlé de la fracture numérique et culturelle qui accompagne – ou pas – la pauvreté matérielle. Les découvertes auxquelles ont donné lieu ces deux jours  de travail dans l’hémicycle du Parlement ont été une riche expérience.  La décision avait pourtant dû être “arrachée” aux collègues, plus enclins a ne soutenir que des formes traditionnelles de consultation de la société civile organisée. Cette méfiance stérile a eu pour résultat de bloquer la seconde conférence de citoyens sur l’agriculture et l’alimentation qui devait avoir lieu, à la veille de la décision à prendre en Commission Agriculture sur la Politique agricole commune. L’argument avancé a été que quantité d’auditions de toutes sortes d’acteurs avaient déjà eu lieu… Une belle preuve de méconnaissance de l’intérêt de la délibération et de l’implication citoyennes.

 

Au-delà de la démocratie représentative européenne

Ces élus qui le sont parfois depuis de nombreuses années ont épousé tous les contours (et limites) de nos démocraties représentatives nationales. Pour eux, les élus sont les élus. Ils sont donc légitimes tout au long de leur mandat et c’est a eux qu’il revient de faire la décision, de la faire appliquer ou de la contrôler. Tout cela n’est pas contestable. Mais quelques interrogations, parfois mal posées, mais non dénuées de fondement, doivent pouvoir parvenir jusqu’à eux. Nos démocraties représentatives nationales occidentales sont fondées sur le suffrage universel. Au fil des décennies et de façon assez variable dans chacun des pays européens, elles se sont entourées de dispositifs consultatifs plus ou moins contraignants du point de vue du droit (Conseil d’Etat, Cour constitutionnelle) et du point de vue du contenu (partenaires sociaux, conseils consultatifs divers). Mais il s’agit à chaque fois d’un élargissement ou d’un prolongement du système de démocratie représentative. Cent cinquante ans après leur naissance, après de profonds bouleversements sociaux et technologiques, à l’heure ou les flux d’informations traversent la planète en une fraction de seconde et sont accessibles aux citoyens sans filtre ni intermédiaire, n’est-il pas utile de relire nos systèmes démocratiques, a fortiori pour cette démocratie imparfaite et de plus en plus déterminante qu’est la démocratie supranationale ? Nous le pensons profondément.  Il s’agit d’un des chantiers prioritaires de l’Union européenne.

The Green Fights For Europe
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What has the Green movement been able to achieve and what will be the next key challenges for Europe and for the Greens?