Alors que les multinationales et les gouvernements doivent repenser leurs modes de productions à l’aune des nouveaux potentiels technologiques et des réalités géographiques changeantes, le commerce international et ses acteurs longtemps dominants verront l’état des choses bouleversé d’ici 2049. Isabelle Durant, numéro 2 de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement, offre ici une perspective positive et réaliste sur ce changement de régime, ses opportunités et ses excès à limiter.

Echanger est la plus vieille activité humaine. Elle a façonné les civilisations successives depuis au moins l’antiquité, stimulé l’innovation et les modes de production, déterminé des routes et des pôles de développement, engendré tantôt des guerres et des famines, tantôt une augmentation fulgurante du développement et du bien-être des populations. Pour ces raisons et pour beaucoup d’autres, les échanges, et donc le commerce international, seront encore de la partie en 2050.

La question est donc plutôt de savoir comment ce commerce international, aujourd’hui encore le fruit de l’hyper-globalisation et de l’ultra-libéralisme, évoluera et pèsera sur le monde de demain. Un monde dans lequel interconnexion technologico-économique et changement climatique modifient profondément la donne.

« Quand les éléphants se battent, les herbes sont piétinées ».

Les guerres commerciales, comme celle entre USA, Chine et UE sur laquelle s’ouvre 2019, ne sont bien sûr pas nouvelles. Mais là où l’approche multilatérale avait par le passé absorbé nombre de chocs, l’« America great again » des Etats-Unis du Président Trump s’applique à modifier profondément les relations entre les grandes puissances commerciales. La Chine quant à elle s’appliquer à démontrer dans les faits qu’un autre modèle commercial est possible, sans toutefois se défaire totalement de ses habits protectionnistes ni de son statut ambigu de pays en développement au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce. En parallèle, le commerce extérieur européen cherche le juste niveau de réciprocité avec ses partenaires tandis qu’il continue de générer son lot de débats allant des appels au protectionnisme à ceux du libre-échange sans garde-fous.

Il n’est pas illusoire dans la décennie à venir d’imaginer un juste et efficace partenariat commercial Afrique-UE se passant d’un affrontement digital stérile.

Cette guerre commerciale, que sous-tend un nouveau paradigme des relations internationales, est par ailleurs devenue profondément technologique. Sur le champ de bataille pour la suprématie digitale – BATX contre GAFA[1] – les données sont le nouvel or noir et la nouvelle référence. Face aux belligérants au leadership technologique plus affirmé, l’Union européenne, tente de gagner sur le terrain de la régulation, de la gouvernance et de la protection des droits des citoyens. Gageons qu’en marge de la guerre commerciale à perte, la RGPD européenne fasse des émules en faveur d’une régulation internationale.

Et pourquoi pas plus tôt que plus tard avec ses partenaires africains ? Il n’est pas illusoire dans la décennie à venir d’imaginer un juste et efficace partenariat commercial Afrique-UE se passant d’un affrontement digital stérile. A l’aide d’un écosystème favorable aux investissements, équitable dans ses échanges commerciaux, et protégeant données et citoyens, c’est un véritable espace numérique et commercial régulé Afrique-UE qui pourrait voir le jour d’ici 2050. L’herbe piétinée pourrait alors chatouiller sérieusement les pieds des éléphants et les ramener à la table de négociation dans un esprit plus apaisé. 

Repenser les routes du commerce

Un commerce international régulé sur les plans économique et technologique doit s’accompagner d’une réduction drastique de son empreinte carbone. Aujourd’hui, commerce florissant rime avec augmentation d’émissions de CO2: d’ici 2050, les émissions du transport de marchandises, tous modes confondus, devraient augmenter de quelques 200%. Le fret international – dont le transport maritime génère plus de la moitié de la pollution – deviendrait la principale source d’émissions pour le transport de surface, devant le transport de passagers. Avec un tel impact climatique, comment repenser les voies et moyens du commerce international ?

Il faut urgemment identifier les impacts concrets qu’aura un réchauffement de 2 degrés Celsius sur le commerce international. Quelles nouvelles routes commerciales maritimes et quels nouveaux ports ? Quelles populations menacées ? Quelles agricultures transformées ou reconverties ? Quels emplois ? A quoi ressemblera cette carte des échanges dans le monde de 2050 avec 2 degrés Celsius de plus? Si le combat contre le changement climatique est une priorité, il est irresponsable de ne pas envisager toutes les options de demain pour mieux anticiper et réguler.

L’autre tâche importante sur la ‘to do list’ de la communauté internationale est d’explorer les pistes de réflexion et les pratiques qui limitent, voire annulent, l’impact climatique néfaste du commerce international ? La réflexion sur l’interaction commerce-environnement [lisez plus sur ce sujet dans notre article sur commerce et environnement], trop longtemps taboue, doit dépasser l’exercice de bonne conscience pour dessiner les contours des politiques. Le pari de demain et la refonte du système commercial devront donner plus de poids et plus de voix au commerce régional et de proximité. La réflexion sur nos sociétés consuméristes trouve ici toute sa place. Place qu’il faut laisser aux offres qui se développent déjà aujourd’hui pour les consommateurs d’emprunter plutôt que d’acheter, d’utiliser plutôt que de s’approprier.

Made in Home ?

La solution et l’avenir du commerce se trouveraient-ils donc dans la production de proximité et dans les circuits courts ? L’équation serait un peu trop simple. L’internationalisation des échanges ouvre incontestablement des perspectives. Entre le « rattrapage » chinois et le non épanouissement de pays en voie de développement isolés, volontairement ou non, du marché international, pas de salut ni de développement durable hors du contexte international. Mais à certaines conditions ! Comme par exemple de nouvelles règles réduisant le protectionnisme dans des secteurs comme l’agriculture, le textile, ou le médicament. Vu de 2019, c’est tout l’enjeu de la prochaine réforme de l’OMC, incapable ces dernières années de sortir des divisions entre ses Etats membres. Un système commercial international plus juste et plus inclusif ne pourra pas se passer d’une vraie alternative multilatérale au plurilatéralisme « à la carte » ou à la guerre commerciale comme système. De nouvelles règles qui, par ailleurs, auraient pour corollaire un nouveau mode de règlement des différends via une cour multilatérale permanente pour résoudre les conflits découlant des accords entre entreprises et Etats.   

Le temps est peut-être obsolète où nous commercions tout, tout le temps, au prix d’une compétition vers le bas, au prix le moins cher possible mais au prix de la durabilité de la planète et de nos sociétés.

De l’inversion des temps au temps de l’innovation

Construire 2050, alors que l’innovation technologique et le dérèglement climatique marchent bien plus vite que les négociateurs – qu’ils soient commerciaux, climatiques ou numériques – ce n’est pas faire fi de la réalité ni seulement dénoncer certains acteurs. Construire 2050 c’est mettre les innovations de tout ordre au service d’un commerce régulé et passif climatiquement.   

Il faudra pour cela explorer les inconnues d’aujourd’hui et de demain. La généralisation de l’impression 3D transformera-t-elle aussi profondément la manufacturation que la téléphonie mobile et l’Internet l’ont fait pour le commerce en ligne? Le commerce international des services, une façon pudique de parler de nouvelles délocalisations, supplantera-t-il de façon durable le commerce international des biens ? L’étiage plus régional pour le commerce de marchandises, plus traçable, plus accessible aux petits et moyens joueurs, mieux maitrisé et plus facilement redistributif à ce niveau, prendra-t-il le pas sur les gigantesques chaines de valeur dont l’essentiel des bénéfices revient à l’acteur le plus puissant en tête de chaine plutôt qu’aux maillons secondaires ?

Malgré ces inconnues – ou plus exactement à cause de ces inconnues – il faudra demain ‘commercer et échanger malin’, orienter les politiques d’échange sur la vraie valeur ajoutée d’un produit. Le temps est peut-être obsolète où nous commercions tout, tout le temps, au prix d’une compétition vers le bas, au prix le moins cher possible mais au prix de la durabilité de la planète et de nos sociétés. La photographie du commerce mondial serait bien différente de celle d’aujourd’hui si les règles du jeu permettaient l’inclusion d’autres acteurs (petits et moyens) et la floraison des circulations régionales sans meurtrir le commerce intercontinental et tomber dans le protectionnisme. La photographie actuelle, elle, ne laisse pas de doute sur le fait que le rééquilibrage du commerce international et régional est l’une des questions clés des décennies à venir.  


[1] Les entreprises chinoises Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi contre les entreprises américaines Google, Apple, Facebook et Amazon.

2049: Open Future
2049: Open Future

The politics of tomorrow start with the politics of today. Beyond any one theme, this collection of essays, stories, and interviews, complemented by infographics and amazing illustrations, looks forward to imagine the Europe(s) to be in 2049.

Order your copy